Menu
Libération
Chronique «Politiques»

Emmanuel Macron et la bataille de l’Europe

Chronique «politiques»dossier
Le Président a beau s’engager pour l’Union, il est isolé sur ce terrain-là. Pour les européennes, il devra traiter ses possibles alliés avec considération et ouverture d’esprit. Bref, réussir à Strasbourg ce qui a été raté à Paris.
Emmanuel Macron au Parlement Européen à Strasbourg, le 9 avril. (Photo Pascal Bastien pour Libération.)
publié le 19 septembre 2018 à 18h06
(mis à jour le 20 septembre 2018 à 11h06)

Emmanuel Macron est depuis Valéry Giscard d’Estaing le premier président français à avoir fait campagne en brandissant haut et fort les couleurs européennes. Il n’est, certes, pas le seul chef de l’Etat à s’engager franchement en faveur de l’Europe : François Mitterrand fut un grand européen, chacun le sait, et si Jacques Chirac n’était ni très motivé ni très inspiré par le sujet, en revanche, Nicolas Sarkozy et François Hollande ont œuvré de leur mieux pour défendre l’Europe face aux crises qui l’assaillaient, qu’elles soient bancaires, financières, monétaires ou britanniques.

La particularité de la situation de Macron tient cependant à ce qu’il s’engage personnellement, bien plus que ses prédécesseurs dans la campagne des élections européennes et qu’il le fait à un moment où il manque cruellement d’alliés au sein de l’Union, le tout en période de montée des nationalismes. Emmanuel Macron va donc se battre assez seul pour l’Europe face à des adversaires de plus en plus nombreux, de plus en plus puissants. C’est un juste combat, c’est une bataille difficile. Elle aura lieu à la fois au sein de l’Union tout entière et sur la scène nationale.

A l’échelle des Vingt-Huit, la crise politique n’a jamais été aussi aiguë et s’est rarement présentée aussi mal. Certes, face au Brexit, la solidarité de tous les Etats membres reste pour l’instant étonnamment solide, y compris s’agissant des gouvernements eurosceptiques ou néonationalistes. Sans doute comprennent-ils tout de même que face à l’ascension continue de la Chine et à la politique vindicative de Donald Trump, l’Europe est la seule sauvegarde. Il n’empêche que la marée sans cesse grossissante des nationalismes traverse toute l’Europe et la fait vaciller. Varsovie, Budapest, Prague et maintenant Rome défient ouvertement qui les valeurs démocratiques de l’Union, qui ses engagements économiques majeurs.

Le Parlement européen a bien voté à une large majorité des sanctions théoriques contre la Hongrie (même les conservateurs autrichiens l’ont fait) mais chacun sait qu’au Conseil européen la règle fatidique de l’unanimité bloquera toute décision. De toute façon, qu’on en soit arrivé là pour la première fois prouve à quel point la crise est profonde et les solutions difficiles à atteindre.

Or, si Macron tente, dans la logique de ses discours d’Athènes, de la Sorbonne et de Strasbourg, de proposer au contraire d’avancer au sein de la zone euro et de pousser les feux d’une politique de défense, ses alliés ne se précipitent pas à ses côtés. En réalité, pour devenir simplement audible, il existe un préalable : démontrer à tous que l’Europe peut être aujourd’hui un bouclier robuste face aux agressions commerciales, aux risques militaires (les gesticulations croissantes de Vladimir Poutine) et au flux migratoire : c’est sur ce dernier terrain que les peuples s’affolent, que les gouvernements se cabrent et que la cacophonie s’installe.

A Emmanuel Macron de proposer une politique de l’immigration et de l’accueil des demandeurs d’asile, avec les moyens matériels et humains nécessaires. Il ne peut d’ailleurs convaincre en matière commerciale monétaire ou militaire qu’à condition de proposer d’abord un plan d’urgence concernant l’immigration économique et les demandeurs d’asile avec un vaste plan d’aide au développement des pays africains et un renforcement immédiat de Frontex. Sans rassurer, il ne peut avancer.

Or, la bataille de l’Europe sera plus âpre que jamais depuis que l’on élit le Parlement européen au suffrage universel direct. Pour peser à Strasbourg, la liste Macron aura besoin d’alliés chez les libéraux, les écologistes, les sociaux-démocrates et les conservateurs modérés. Vaste programme, car une recomposition au Parlement de Strasbourg se heurtera à des clivages bien installés, à des situations acquises et à de vieilles querelles byzantines. Pour les bousculer, il faudrait un élan et une dynamique sans précédent. Autre préalable évident : que la liste Macron arrive en tête au plan national. Elle connaît déjà son adversaire principal en mai prochain : ce sera Marine Le Pen et son nationalisme, les sondages le confirment.

En face, La République en marche est nue. Elle n’existe pas à Strasbourg, elle a tout à créer et à organiser. Seule, elle est faible. Si les amis d’Alain Juppé, les centristes de toutes obédiences, les républicains modérés pro-européens, des écologistes et des sociaux-démocrates la rejoignaient, la partie serait en revanche gagnable. A condition, cela va de soi, de traiter ses alliés avec considération et ouverture d’esprit. Bref, de réussir à Strasbourg ce qui a été raté à Paris, un rassemblement européen ne pouvant être qu’une entente cordiale, pas un pacte de fer.