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Lois bioéthiques : le citoyen peu écouté ?

Alors que le Comité consultatif national d'éthique doit rendre ce mardi son avis sur les éléments de la prochaine loi de bioéthique (procréation, fin de vie…), les chercheurs Catherine Bourgain et Jacques Testart contestent la façon dont la consultation citoyenne a été menée.
Micro-injection par pipette d'un spermatozoide dans un ovocyte au Centre d'étude et de conservation du sperme humain de Rennes, en 2000. (Photo Marcel Mochet. AFP)
par Jacques Testart et Catherine Bourgain, chargée de recherche à l'Inserm, administratrice de l'association Sciences Citoyennes
publié le 25 septembre 2018 à 6h00

Dans le cadre du processus de révision des lois de bioéthique, le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) a convoqué cette année un «comité citoyen». A la conférence de citoyens prévue par la loi, le CCNE a donc préféré une procédure dont les modalités précises n’ont pas été rendues publiques, qui a permis de rendre des «avis citoyens» à moindre coût, au plus vite, mais au mépris des enjeux et des espoirs démocratiques.

Nous déplorons cette décision. Si le but de la législation bioéthique est l’élaboration de règles qui satisfassent la grande majorité de la population, sans porter atteinte aux intérêts légitimes de minorités, c’est-à-dire si l’on veut construire des règles qui correspondent au «bien commun», plusieurs principes doivent être respectés. Ce sont ces principes qui fondent la démarche que nous avons adoptée avec l’association Sciences citoyennes, pour élaborer une version rationalisée des conférences de citoyens : la convention de citoyens.

Pluralité

Ainsi, au cours de la formation proposée aux citoyens pour nourrir leur réflexion, l'expertise scientifique doit avoir toute sa place. Mais la pluridisciplinarité doit être effective. Les représentants des «sciences dures» ne peuvent être les seuls experts consultés. La diversité des points de vue doit être respectée lorsqu'un sujet fait débat. Au choix unique du «meilleur spécialiste» sur un sujet, qui serait capable d'exposer tous les éléments d'une controverse y compris ceux qu'il combat, la participation d'experts défendant des positions possiblement contradictoires doit être préférée. Dans notre proposition, les jurés citoyens sont indépendants d'intérêts particuliers puisqu'ils sont issus d'un tirage au sort suivi d'une vérification d'indépendance et de l'aménagement d'une diversité maximale. Ils sont complètement informés puisqu'un comité de pilotage pluriel assure le concours d'experts aux points de vue variés, et que le processus se donne le temps indispensable pour le débat interne au groupe. Ils sont protégés des diverses pressions et lobbyistes puisqu'ils demeurent anonymes jusqu'au rendu de leur avis, qu'ils rédigent eux-mêmes. Un bilan indépendant de la procédure permet d'assurer la plus grande transparence sur tous ces aspects. Cette proposition législative a été publiée dans Libération le 26 novembre 2007.

Les états généraux de la bioéthique en 2018 ont montré combien tenter d'approcher le bien commun n'est pas possible sans recourir à des procédures contradictoires, disposant de temps pour permettre la maturation des idées et des délibérations.

Redondance

Le CCNE a en effet décidé d’organiser de nombreux débats publics (environ 250), avec le concours des Espaces éthiques régionaux. Un site internet dédié a permis de recueillir de nombreuses contributions (d’environ 30 000 personnes). Pourtant, cette participation a eu du mal à mobiliser largement le grand public. Elle n’a pas davantage permis d’échapper aux confrontations entre points de vue déjà élaborés. Ces difficultés ont été renforcées par les auditions de groupes d’intérêts (professionnels, courants de pensée, religions, entreprises). Ces groupes étaient en partie les mêmes que ceux qui se sont exprimés sur Internet ou dans les débats régionaux, créant une redondance très critiquable.

Le CCNE a remis le 4 juin son rapport de synthèse à l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et techniques, lequel préparera la discussion parlementaire. Les données recueillies sont en général pauvres en termes d’innovation de choix politiques du fait de l’absence de temps de délibération collective et de confrontations créatrices.

Dans la cristallisation entre des points de vue «utilitaristes» et d’autres, réduits ou assimilés aux seules critiques qualifiées de «cathos», les questions de bioéthique se sont trouvées, trop souvent, réduites aux thèmes de la GPA et de la PMA pour toutes. Des questions telles que «quelles priorités et quelles limites en matière de recherche ? Quelles conséquences des choix d’innovation technique ?» ont été très peu discutées. Elles sont pourtant essentielles au moment de réfléchir au monde que nous voulons pour demain, pour reprendre la question sous l’égide de laquelle ces états généraux ont été placés.

Le cumul des consultations diverses crée l’illusion qu’une solution «juste» pourrait résulter du déballage non dosé des intérêts, des convictions, des impressions et des espoirs. Et la tromperie serait de faire croire que les élus sont libérés de leurs obligations de représentants du peuple dès lors qu’ils ont réuni des assemblées où certains porte-voix ont été conviés à s’exprimer, ou se sont imposés.

Bien commun

On ne construira pas une bioéthique d’inspiration démocratique et laïque, une bioéthique d’apaisement en accordant les fantasmes des humains avec le désir de maîtrise de nombreux chercheurs et les projets des investisseurs. Il faut repasser sans cesse par la case départ, celle des citoyens dûment éclairés. Pourquoi ne pas organiser deux ou même trois conventions de citoyens, indépendantes les unes des autres, sur chaque thème soumis à débat, afin de rassurer ceux qu’inquiète l’effectif forcément réduit d’un jury? On ne retiendrait comme «justes» que les propositions qui s’avèrent communes à toutes ces procédures. La démarche serait infiniment plus démocratique que celle qui consiste à «synthétiser» les propos disparates, souvent partiaux ou mal informés, entendus dans les débats publics. La faible caution que nos institutions accordent au citoyen est à la mesure des procédures minimalistes proposées pour connaître ses choix.

L'inscription dans la loi, ou mieux dans la Constitution, de la procédure des conventions de citoyens marquerait un pas historique du progrès démocratique.