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Blog «Annette sur le net»

#MeToo, par delà "la main aux fesses"

Blog Annette sur le netdossier
Le mouvement #MeToo souffle sa première bougie: l'affaire Weinstein c'était en octobre 2017. En un an la vague planétaire a secoué de vieilles politiques sclérosées.
Matt Damon joue le juge Kavanaugh dans la célèbre émission Saturday Night Live (NBC) samedi dernier. Et une figurine en carton d'Alyssa Milano, créatrice de #MeToo se glisse dans l'image derrière lui (Capture d'écran)
publié le 2 octobre 2018 à 19h23
(mis à jour le 3 octobre 2018 à 20h22)

Au lendemain du fantastique show sénatorial au suspense haletant «Le juge Kavanaugh ira-t-il passer le restant de ses jours à la Cour Suprême des Etats-Unis ?» , l'acteur Matt Damon a rejoué la scène en direct, samedi soir, pour l'émission humoristique Saturday Night Live. Il est un Kavanaugh hurlant, gesticulant, cramponné à sa bière, entouré, comme dans la vraie audition de la commission du Sénat, par deux femmes supporters (dont sa femme) jouées à la télé par l'équipe du show. Hystérique.

Et soudain, une figure en carton apparaît sur l’écran, agitée derrière le faux Kavanaugh: une photo d’Alyssa Milano, l’actrice choquée par les révélations sur le prédateur sexuel Harvey Weinstein qui avait écrit un tweet pour que d’autres femmes racontent, elles aussi, ce qui leur est arrivé. Elle avait commencé par elle-même : «Moi aussi...» . Son #MeToo est retweeté 200000 fois dès le premier jour.

C’est bien #MeToo qui s’est glissé dans la machine à nommer un juge à la Cour Suprême et l’a fait dérailler - la plus haute institution et la plus respectée des Etats-Unis où un juge comme Kavanaugh va faire pencher la balance contre l’avortement, contre le contrôle des armes à feu, contre le mariage pour tous et autres progrès de la société américaine.

Christine Blasey Ford, respectable professeur d’université, n’aurait pas eu le courage, sans cette année agitée par #MeToo, de venir exposer devant le monde entier un événement assez banal chez les lycéens et étudiants américains : la beuverie qui dérape en viol. Pour elle c’était il y a 36 ans, elle avait 15 ans, elle était lycéenne, et s’est retrouvée coincée, enfermée dans une chambre avec deux garçons beurrés qui l’ont jetée sur le lit et ont tenté de la déshabiller. Elle a été sauvée par la natation, elle rentrait de la piscine, avait gardé son maillot de bain, trop compliqué pour la violer. Elle n’oubliera pas la peur de ce jour là, les détails, et donne les noms des deux garçons, et de leurs copains dans la maison.

«Je fais mon devoir de citoyenne» dit-elle, refusant que son agresseur devienne l'un des personnages les plus puissants des Etats-Unis, et juge de la moralité du pays. Auparavant elle avait gardé le silence, comme les millions de femmes qui ont tweeté «me too»

Brett Kavanaugh, 53 ans, ne se souvient pas de cette scène, quelconque, il reconnait avoir beaucoup aimé la bière à cette époque. D’ailleurs il n’était pas là.

En 1991 j’avais vu en direct déjà l’audition du juge Clarence Thomas accusé d’agression et de harcèlement sexuel par sa collègue, Anita Hill. Devant la commission sénatoriale masculine, Anita Hill avait été ridiculisée et le juge Thomas nommé à la Cour Suprême où il siège toujours.

En 2018 on écoute les femmes qui témoignent, on n’ose plus ricaner. Les sénateurs avancent prudemment pour démolir le témoignage de Christine Blasey Ford, sans trop l’attaquer.

Times they're changing , chantait Bob Dylan, les temps ont changé.

La Une du New York Times, 5 octobre 2017

Ce mouvement de révolte des Américaines contre l'élection du mâle blanc obscène à la présidence les a fait descendre par millions dans les rues - avec des hommes dans leurs cortèges - pour protester au lendemain de l'arrivée de Trump à la Maison Blanche. Quelques mois plus tard le mouvement a fait exploser le «roi de Hollywood», l'arrogant prédateur sexuel Harvey Weinstein, l'ami des Clintons, qui violait en toute impunité et publicité à Hollywood depuis 30 ans: les actrices ont (enfin) parlé. A la une du New York Times le 5 octobre 2017 puis à la une du New Yorker le 10 octobre.

La cover du New Yorker, 10 octobre 2017

Depuis, la secousse, que j'appelle «Onde de Choc», fait bouger les vieilles politiques. Par delà les débats idiots du genre «la main aux fesses est-elle un délit, un crime, ou pas grave du tout ?» ou « frotter dans le métro est cool ou pas cool ?» ou «gardons notre poussiéreuse galanterie à la française» on voit un vrai mouvement politique, nouveau, à l'initiative des femmes et qui dépasse les clivages habituels. Et les étiquettes corporatistes de féministes.

Contre Trump bien sûr, où il n'y a jamais eu, dans l'histoire américaine, autant de femmes candidates aux élections de mi-mandat (Midterms) le 6 novembre prochain. Mais aussi contre le candidat d'extrême-droite au Brésil où les femmes manifestent - Mulheres unidas contra Bolsonaro - entraînant, pour une fois, les hommes dans leur sillage. Il y a eu aussi un mouvement contre le viol en Espagne, femmes et hommes ensemble, et les Iraniennes qui enlèvent leur voile, avec des hommes qui les soutiennent, et les musulmanes qui dénoncent les viols pendant le pèlerinage de la Mecque ... Planétaire.

Pour celles et ceux qui s'inquiètent de la chasse aux sorcières, des innocents masculins «livrés aux bourreaux», je leur rappelle qu'à l'exception de quelques hommes visibles et puissants - de Weinstein au patron de CBS en passant par le fondateur des taxis Uber - d'un célèbre théologien de l'islam, de quelques stars et du comité du prix Nobel de littérature, les victimes de #MeToo se comptent facilement. Des millions de tweets mais très peu de dénonciations et encore moins de procès. Les bourreaux sont au repos.

Et pour ceux qui espèrent la «contre-révolution» annoncée dans des ouvrages qui déferlent en France, good luck ! Un an après Weinstein et #MeToo la fin de l'omerta sur les abus sexuels, le mépris, l'utilisation du pouvoir pour agresser les plus vulnérables, le début de la fin du silence, c'est une dynamique historique. Un couvercle qui s'est soulevé. Je ne le vois pas retomber. Ou sur leurs pieds.

Annette Lévy-Willard