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Libération
TRIBUNE

Géo-vigie estivale en patrouille sur l’île d’Yeu

Une jeune géographe raconte son expérience de vigie bénévole du littoral. Paysages, coquillages et conseils environnementaux.
A l'île d'Yeu, en 2013. (Photo JEAN-SEBASTIEN EVRARD / AFP)
par Orane Luquet, géographe spécialisée dans la gestion des littoraux
publié le 3 octobre 2018 à 19h16
(mis à jour le 3 octobre 2018 à 19h34)

Tribune. Les cheveux au vent et la goutte au front, nous faisons partie, Elsa, Violette, moi, de la patrouille de vigies du littoral en chantant. Le soleil d'août pique les yeux, mince, j'ai oublié mes lunettes de soleil ! Voici le Vieux-Château de l'île d'Yeu, et l'Atlantique qui scintille à l'infini. Aux jeunes qui sont sur la plage, nous disons : «Bonjour, nous sommes les protectrices de l'environnement […].» Sur un ton musical nous nous présentons désormais machinalement - mes deux acolytes et moi, munies de nos tee-shirts verts et de nos grands sourires - pour aborder les promeneurs de cette île magnifique. «Savez-vous que vous circulez sur un espace naturel sensible ?» «Il serait préférable de stationner votre vélo dans le parc prévu à cet effet sur votre droite, merci !» Excuses polies, rires gênés ou regards défiants, nous enfourchons notre VTT à la rencontre de ces enfants au loin, qui apparemment comptent bien rejoindre la plage de Ker Châlon en coupant par la dune. Accentuation de l'érosion, piétinement de la flore, dérangement de la faune… nous avons intégré la grande famille des «protecteurs» de l'île d'Yeu, au titre ambitieux et à la réputation discrète mais efficace, vigies estivales du littoral islais opérant depuis douze ans. Au même titre que la «force bleue» (les services de sécurité) ou la «force rouge» (les surveillants des plages), «la force verte» - comme on dit ici - brandit l'épée de la sensibilisation pour inciter les gens à adopter les bonnes pratiques environnementales dans les sites naturels de juin à septembre, sans amende à la clé.

A une vingtaine de kilomètres de la côte vendéenne, l’île d’Yeu fait partie des quinze îles de l’archipel du Ponant. Petite (24 kilomètres carrés) et relativement plate (altitude moyenne 17 mètres), c’est plutôt dans la dualité de son paysage que je vois son originalité : une côte orientale sablonneuse et verdoyante plutôt vendéenne et une côte occidentale granitique à falaise plutôt bretonne. Un univers varié, facile à arpenter, qui attire du monde. Avec 4 700 habitants à l’année et 28 000 en été, la pression anthropique, difficile à gérer, est exacerbée par le caractère insulaire du territoire.

Pourtant, l’environnement y est exceptionnellement préservé, au travers notamment de son intégration au réseau Natura 2000 (1). Ce classement - en deux sites marins et un terrestre - permet d’obtenir des outils et des fonds spécifiques à sa gestion. C’est ainsi que, chaque été, trois protecteurs de l’environnement sont recrutés par la municipalité et l’Agence française pour la biodiversité (AFB) et effectuent une veille active, à vélo, à pied et en kayak. Concrètement, notre quotidien : 80 % de patrouille terrain, 10 % de mise en œuvre des moyens et actions de communication (exemple : stands sur le marché de Port-Joinville) et 10 % d’opérations particulières confiées par des entités externes (comme l’observation des échouages de mammifères marins). Iode et sport assurés !

Contrairement à mes deux collègues, je foule ce sol pour la première fois, observant ce grand caillou avec des yeux de géographe en quête d’objectivité. Nous potassons peu à peu nos conseils à la collectivité : améliorations possibles en termes d’aménagements, moyens humains et matériels à mettre en œuvre, ou simples rappels des problématiques déjà connues.

Habitants à l'année, résidents secondaires et visiteurs, les profils des personnes avec qui nous échangeons sont aussi variés que leurs humeurs ; mais tous restent cordiaux. Les enfants sont formidablement réactifs ; les adultes plus ou moins ouverts à se «soucier de ces questions» durant leur entracte estival. Des premiers rayons asséchants de juin aux lumières douces d'automne, nous construisons nos critiques et rédigeons le rapport d'activité final qui viendra présenter nos différentes missions et synthétiser nos résultats (2).

(1) Réseau européen visant à préserver la diversité biologique d'un territoire tout en tenant compte de ses activités sociales, économiques et culturelles.
(2) Ce document est actuellement en libre consultation sur le site internet de la mairie de l'Ile-d'Yeu : www.mairie.ile-yeu.fr