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Libération
Libé des géographes

Waze, une fausse route ?

Le «GPS intelligent» de Google pourrait bien créer plus de problèmes qu’il n’en résout.
A Tel-Aviv, en Israël, le 9 mai 2013. (REUTERS)
publié le 3 octobre 2018 à 20h26

En Israël, en 2008, trois geeks, Uri Levine, Ehud Shabtai et Amir Shinar, prétendent que les cartes des GPS réalisées avec les services de l’Etat sont très insuffisantes. Ils lancent Waze, une appli destinée à trouver son chemin. Sur le mode 2.0, les automobilistes mettent la main aux données. Waze rajeunit le bon vieux GPS et libère le logiciel du PC. Il devient la nounou d’automobilistes qui ont la frousse du contrôle de vitesse. Qui aiment qu’on enregistre leur place de stationnement et pensent qu’il vaut mieux se faire trimballer en écoutant la radio que de finir piégés dans un bouchon.

Waze serait-il un GPS «intelligent» ? Moins intelligent que gourmand en données qu’il stocke par l’enregistrement de vos habitudes pour fabriquer des parcours optimaux partagés avec une communauté connectée. Les résultats sont parfois cocasses, car un historique des données croisé avec des données en temps réel fausse les temps de parcours. Si c’est un jour férié et que la circulation est fluide, vous êtes bons pour un détour inutile ! Ces données qui font le business de Waze sont peut-être aussi son talon d’Achille. L’itinéraire issu de la vitesse instantanée de chaque utilisateur sur tel tronçon est-il bien idéal ? En cas de ralentissement, l’algorithme vous déroute sur un autre parcours, mais cet usage de l’espace peut devenir problématique.

«Déjouons le trafic ensemble», dit Waze. Pas si simple. Les réseaux sociaux fournissent des tonnes d'histoires d'automobilistes ayant mis Waze à l'épreuve. Après avoir essuyé les critiques d'édiles municipaux voyant débouler des 20 tonnes dans leurs villages ou, plus banalement, dans un lotissement périurbain qui ne demandait qu'à être oublié, Waze a dû, en avril, signaler les zones à trafic limité. Non seulement les zones à 30 km/h avec batterie de ralentisseurs, mais aussi des villes en plein pic de pollution.

Pour les géographes, la rugosité de l’espace physique, c’est plus concrètement (les cyclistes savent de quoi on parle) les chaussées déformées ou défoncées par un 35 tonnes qui bousille un revêtement en un passage. Alentour des métropoles, la hausse du trafic des poids lourds approvisionnant les zones commerciales peut dépasser 2 % par an. Jugez l’état des chaussées… Sur les départementales non prioritaires du réseau, les résidents paient au prix fort les bouchons autoroutiers par le bruit, la pollution, l’insécurité avec un nombre croissant d’accidents qui a justifié le tour de vis des 80 km/h. Dans le Sud-Ouest, entre Mont-de-Marsan et Saugnacq-et-Muret, le tribunal administratif a même donné raison à une association de transporteurs des Pyrénées-Atlantiques qui contestait une interdiction municipale de circulation en transit. Waze pourrait bien, indirectement, contraindre des élus locaux à renforcer les crédits d’entretien des routes.

Waze pourrait aussi servir les arguments de Christophe Guilluy sur la fracture territoriale. Car l’appli a été calibrée pour des pays très urbanisés. Mais en Corse ou en Auvergne, quand le filet de la 3G s’effiloche, baissez la vitre de votre véhicule pour demander votre chemin si vous croisez âme qui vive ou pleurez votre bonne vieille carte.

Vous n’utilisez pas assez votre voiture pour payer un abonnement ? Vous n’aurez que des données sans grand intérêt. Et vos contacts favoris pourraient bien recevoir un spam pour télécharger l’appli. Waze a été rachetée par Google en 2013 pour près d’un milliard de dollars. En attendant une loi antitrust, équipez-vous d’un bon vieil atlas.