Menu
Libération
Chronique «Politiques»

Laurent Wauquiez ou le complexe d’Alcibiade

Chronique «politiques»dossier
En vue des européennes, le président de LR présente la version bourgeoise de la colère populaire entretenue par Marine Le Pen. Mais qui profitera de cette campagne très à droite ?
Laurent Wauquiez le 20 september à Divonne-les-Bains. (Photo JEAN-PIERRE CLATOT / AFP)
publié le 4 octobre 2018 à 17h26
(mis à jour le 4 octobre 2018 à 18h42)

L’erreur de stratégie que commet Laurent Wauquiez n’est pas une bonne nouvelle car elle risque de bénéficier à Marine Le Pen. Le président de Les Républicains (LR) a en effet ostensiblement choisi, à l’approche des élections européennes, de camper aux confins idéologiques du rassemblement national. Il place résolument la bataille anti-immigré au cœur de sa campagne et il fait de la fermeture des frontières aux migrants économiques et même aux demandeurs du droit d’asile sa priorité. Il soutient, sans états d’âme, la politique de Viktor Orbán et de Matteo Salvini dans ce domaine. Il vient de le démontrer à deux reprises : d’une part, en prenant position lors du vote du Parlement européen de Strasbourg contre l’adoption de sanctions à l’encontre du Premier ministre hongrois. Il s’est ainsi différencié du gros du Parti populaire européen (droite modérée) auquel appartient LR, s’ancrant délibérément à la droite de la droite. Ses propres troupes, bien embarrassées, se sont d’ailleurs divisées au moment du vote. Même un Brice Hortefeux n’a pas voulu s’identifier à Viktor Orbán et a donc refusé de suivre ses instructions.

Par ailleurs, lors de son débat malheureusement tronqué à l'Emission politique sur France 2, face au Premier ministre, Edouard Philippe, il a choisi également le rejet de toute immigration comme angle d'attaque. A son habitude, il n'a d'ailleurs pas résisté à la tentation de travestir grossièrement la réalité, affirmant sans sourciller que la France est le pays d'Europe qui maîtrise le moins bien sa politique migratoire et l'un de ceux qui accueille le plus d'immigrés. Lors de l'énorme vague migratoire de 2015, elle avait pourtant démontré exactement le contraire. Quant à la loi Collomb sur l'asile et sur l'immigration, il faut une mauvaise foi délibérée pour la juger laxiste. Laurent Wauquiez est trop intelligent pour croire à ce qu'il dit mais suffisamment cynique pour assumer ce qu'il sait faux. Comme toujours, il succombe au complexe d'Alcibiade.

A l'instar du fameux homme politique et général athénien, il est né comblé de dons intellectuels, doté d'un physique avantageux, excellent orateur, confiant en son étoile, séducteur des foules, éclipsant ses rivaux. Comme Alcibiade encore, il est mû par une ambition insatiable, la passion du pouvoir, le vertige de l'autorité et, par-dessus tout, par un cynisme et par un opportunisme qui l'incitent à changer de cap, d'alliance et de conviction au gré de ses intérêts. Adoubé et mis en selle à ses débuts par un symbole, par la quintessence même de la démocratie chrétienne (Jacques Barrot), puis virant au sarkozysme, au fillonnisme pour aboutir bientôt à un néosouverainisme conservateur, sans principes, valeurs ou convictions (contrairement par exemple à un Bruno Retailleau). Aucune importance à ses yeux : chaque prise de positions successives n'est qu'une borne provisoire sur le chemin qui doit le mener vers le palais de l'Elysée. Tout est bon pour y parvenir, seul compte l'objectif. Contradictions, reniements, changements de cap ? Peu importe s'il avance vers son but. Ainsi, à propos de l'Europe : ardent européen aux côtés de Jacques Barrot, européen réaliste comme ministre des Affaires européennes de Nicolas Sarkozy, puis soudain eurosceptique déclaré avec son livre Europe : il faut tout changer (2014), prônant une Europe noyau à une demi-douzaine, entourée de cercles concentriques, abandonnant Schengen, pour revenir aujourd'hui à une Europe moins destructrice le temps de la campagne, tout en proclamant ses convergences avec Viktor Orbán en matière d'immigration. Plutôt Angela Merkel pour le contenant, plutôt Viktor Orbán pour le contenu. Allant vers où souffle le vent, pourvu qu'il le rapproche de la rue du Faubourg-Saint-Honoré. Adolescent, comme il a dû aimer Lucien de Rubempré.

Tout cela ne serait que roueries et manœuvres d’un grand ambitieux (après tout, lorsqu’il était dans l’opposition, Jacques Chirac ne s’interdisait pas non plus ces slaloms idéologiques) s’il ne risquait fort de faire les affaires de Marine Le Pen et de Nicolas Dupont-Aignan. La présidente du Rassemblement national et le président de Debout la République s’accrochent de toutes leurs forces au puissant courant populiste souverainiste qui traverse toute l’Europe et triomphe à Rome et à Budapest. Ils espèrent ainsi sortir vainqueurs des élections européennes, hypothèse qui n’est pas absurde. Or, par ses prises de position, Laurent Wauquiez banalise et respectabilise leurs thèses farouchement anti-immigrés, anti-Europe avec un lourd parfum de xénophobie et de nationalisme. Le jeune, brillant, pugnace et avide président de LR présente ainsi aujourd’hui la version bourgeoise de la colère populaire excitée et entretenue par Marine Le Pen et par Nicolas Dupont-Aignan. Cela s’appelle jouer avec le feu.