Le terme «fake news» est un peu survendu. Pour être plus précis, il faudrait parler de «almost true news». Une fake news n'est jamais totalement fausse car elle aurait pu être vraie, ce qui prouve bien sa pertinence. Cas d'école : la semaine dernière, le responsable Etudes et argumentaires du Rassemblement national (RN), Jean Messiha, postait sur Twitter la photo de l'interphone d'un immeuble allemand (enfin, sa version photoshopée à la truelle). En haut à gauche, un Meier, et tout autour, uniquement des noms à consonance étrangère : Rashid, Wang, Abdul, Babukar… «Faites le choix du Rassemblement national si vous voulez éviter que votre immeuble soit remplacé», ajoute ce proche de Marine Le Pen.
Voilà à quoi ressemblent de plus en plus les interphones des immeubles allemands après l’accueil par #Merkel de plus de 2 millions de migrants ces dernières années. Faites le choix du @RNational_off aux #Europeennes2019 si vous voulez éviter que votre immeuble soit remplacé ... pic.twitter.com/L4shKwVOTl
— Jean MESSIHA (@JeanMessiha) September 27, 2018
Non, seulement, cette sonnette n'a jamais existé, mais en plus, elle circule sur Internet depuis quelques années sous diverses versions, espagnoles ou italiennes (Maier devient alors Martinez ou Vianello). C'est ce que fait remarquer à Jean Messiha un internaute. Pris la main dans le sac, le responsable RN ne se démonte pas. Bien au contraire : «Ça prouve que tous les peuples européens ont la même crainte. CQFD», répond-il.
Pas une seule seconde, il ne viendrait à l'idée de Jean Messiha de supprimer son tweet et de s'excuser. Car le fake porte en lui sa vérité. Le simple fait que quelqu'un ait passé 10 minutes sur Photoshop (ou plus sûrement sur Paint, version Windows 95) pour réaliser le montage de ce faux interphone est la preuve, selon Jean Messiha, que les peuples européens sont paniqués par l'immigration. C'est peut-être faux, oui, mais ça sonne tellement vrai que cela mérite d'être vrai, donc faisons comme si ça l'était.
Samuel Laurent, responsable de la rubrique Décodeurs du Monde.fr, est confronté tous les jours à ce type de raisonnement quand il publie des articles de fact-checking : «C'est extrêmement classique chez les militants. Lorsqu'on contredit une affirmation avec une source, en général le militant a trois attitudes : 1/ "Votre source est fausse/partiale/invalide", 2/ "Je ne vous crois pas, vous êtes biaisé et vous mentez pour le compte de l'adversaire" et 3/ "Même si c'est faux ça ressemble à la réalité alors ça aurait pu être vrai, donc c'est vrai".»
Pendant l'entre-deux-tours de la campagne présidentielle, Florian Philippot avait usé du même argument, alors qu'il était pris en flagrant délit de fake news. Celui qui était alors vice-président du Front national avait publié un faux SMS de militants En Marche appelant à venir «huer» et «bousculer» Marine Le Pen dans un déplacement à Reims. «C'était un faux, avait-il ensuite reconnu, mais ça aurait pu être un vrai. Je n'ai pas créé un faux [SMS], j'ai repris de bonne foi un texto qui n'était pas aberrant, qui aurait pu être parfaitement réel sur le fond.»
Le vrai a perdu de sa valeur face au vraisemblable. Ce qui établit la pertinence d'une information est sa plausibilité, sa capacité à s'insérer dans un récit. Le militantisme sur les réseaux n'est que le déroulement d'un récit linéaire («Il y a trop d'étrangers et d'islam en France», «Macron est le meilleur» ou «Il faut une politique résolument de gauche pour contrer Macron») qui se nourrit de contenus trouvés ici ou là sur Internet, et utilisés comme preuve et support de cette narration. Si un militant découvre, par la suite, qu'un contenu qu'il a posté était faux, ça ne change rien pour lui. C'est peut-être faux mais ça aurait pu être vrai. Il est parfaitement platonique de taxer ce contenu de fake news tant il est vraisemblable. La vérité n'est qu'une valeur parmi d'autres, qu'on peut juger parfaitement accessoire au nom de la défense d'autres valeurs plus légitimes : l'identité française, la libéralisation de l'économie ou la justice sociale.
Quand une info se trouve être fausse, et qu'elle est dénoncée comme telle par des journalistes, ce n'est pas la faute des militants qui l'ont partagée (ils sont de bonne foi, ils savent leur combat juste), ce serait plutôt de la faute des médias qui n'ont pas su trouver dans la réalité une histoire qui corrobore le récit du militant. Les fake news sont là pour combler un manque d'offre sur le marché de l'information. Elles sont des supplétifs à une presse qui ne rapporterait pas la vérité du terrain. Dans leur logique, les militants ne mentent pas en publiant des fausses nouvelles, ils ne font que nourrir la machine médiatique d'histoires plausibles, qui se sont sans doute passées, ou qui auraient pu se passer. «Vous aussi vous utilisez des images d'illustration alors on a le droit», répondent parfois les internautes aux fact-checkers. Les fake news sont à l'information ce que les photos de stock sont au photojournalisme : certes, ce n'est pas glorieux, mais quand on n'a pas mieux, on fait avec.