Menu
Libération
Interzone

Dans les roses ou dans les choux ? Peu importe !

PMA, GPA… Les débats sur les modes de procréation ne sont-ils pas vains, au regard de la situation des familles qui élèvent leurs enfants dans des conditions souvent très inégales ?
publié le 5 octobre 2018 à 19h26

Faire un enfant seule, ou en couple avec une autre femme, légaliser ou interdire la gestation pour autrui, connaître l’identité des donneurs de gamètes, voilà ce qui effraie ou qui enthousiasme nos concitoyens.

Comme si le plus important en matière de reproduction était la manière dont les enfants sont fabriqués. Personne ne s’intéresse, ou trop peu, à la manière dont les jeunes êtres sont socialisés et éduqués par ceux à qui ces fonctions sont confiées. Ou plutôt on imagine que la manière d’exercer ces fonctions ne dépend que des formes par lesquelles les enfants sont conçus.

Pour les «progressistes», les méthodes et les configurations familiales alternatives seraient neutres au regard de l’exercice de ces fonctions, tandis que les «réactionnaires» estiment que toute fabrication non sexuelle, non «naturelle», non traditionnelle, promettrait à l’enfant un destin funeste.

Comme si les deux camps voulaient, par ces débats inutiles, dévier l’attention de ce qui est urgent et principal, c’est-à-dire la situation des familles qui élèvent dans des conditions diverses leurs enfants. Comme si les uns et les autres voulaient ne pas mettre en cause les droits des «fabricants» sur les enfants qu’ils font naître. Pour les «progressistes», ce qui compte sont les prérogatives d’une personne qui désire un enfant.

Pour les «réactionnaires», la famille se fonde sur les droits qu’un couple possède sur les fruits du corps de l’homme et de la femme.

Ni les uns ni les autres ne veulent voir que cette approche est porteuse d’une idéologie néfaste en matière de socialisation et d’éducation des enfants. Elle suppose que les enfants qu’ils mettent au monde leur appartiennent. Que nos enfants sont à nous au lieu d’être des individus libres, de futurs citoyens démocratiques qui auront entre leurs mains le destin de la société. Lorsque nous disons que nos enfants sont «à nous», nous oublions que les parents ne sont que des passeurs, qu’ils exercent une fonction sociale, non une prérogative ou un privilège.

Si nos sociétés s’intéressaient moins à la manière dont les enfants sont fabriqués, on pourrait envisager des nouvelles manières de socialiser, d’éduquer et de doter matériellement chaque enfant. L’idée selon laquelle ces derniers devraient jouir des conditions sociales et éducatives les plus égalitaires possibles verrait le jour afin qu’ils n’héritent ni de la misère ni de la richesse. Un service social de l’enfance nouveau se porterait garant du bien-être et de l’égalité de tous, un service social qui poserait des barrières entre ces enfants et leurs parents.

Ce jour-là, les façons dont les enfants seront conçus importeront si peu que nous n’aurons même plus besoin de lois pour les autoriser, ni même pour les encadrer. Nous ferons de notre mieux pour que ces enfants naissent d’un, deux ou trois parents. L’essentiel sera que ces nouveaux humains puissent parvenir à une complète autonomie. Et qu’ils aient tous accès aux douceurs, aux savoirs et à toutes les richesses de la société.

Cette chronique est tenue en alternance par Marcela Iacub et Paul B. Preciado.