Par des sympathisants de gauche, ayant voté pour Gérard Collomb lors des deux précédentes élections municipales à Lyon.
Le 3 octobre, Gérard Collomb est entré dans l'histoire de la Ve République. Ou plutôt il en est sorti. Par la petite porte. Tout en laissant derrière lui, il est vrai, un joyeux bordel. Gag, pied de nez à l'exécutif ou simple péripétie ? Plutôt un bras d'honneur adressé, tout sourire, à la France et aux Français. Comme si le ministre nous avait lancé, avec le style, le timbre et l'éloquence que regrettent déjà les humoristes : «La seule sécurité qui m'intéresse, c'est la mienne !»
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Il faut dire que les responsabilités étaient bien lourdes (trop ?) et le costume un peu grand. Entre une menace d’attentats permanente, une crise migratoire sans précédent, une inquiétante flambée des violences aux personnes et une horrifique affaire Benalla, le quotidien du locataire de la Place Beauvau était devenu un calvaire. Sans compter les humiliations répétées d’Edouard Philippe ou d’Alexis Kohler.
Trop, c’est trop. Courage fuyons !
Et Collomb d'inventer la fuite en arrière. Certes, ce type de démission n'est pas sans précédent. Jacques Chirac en 1976, ou Nicolas Sarkozy en 2007 quittèrent le gouvernement parce que tous les deux voulaient devenir calife à la place du calife. En 1983, Jean-Pierre Chevénement préféra démissionner plutôt que de «fermer sa gueule». Concernant l'ex-premier flic de France, rien de tout ça. Juste un repli stratégique vers «sa» ville de Lyon, pour assurer sa propre sécurité (et celle de son épouse).
D’ailleurs, Collomb n’aura pas eu à traverser la rue pour trouver un nouveau boulot. Il lui aura suffi de prendre le train, dans la foulée d’une passation aussi glaciale que pathétique. Il faut rappeler que ses fauteuils de maire et de président de la métropole avaient été gardés bien au chaud. Par des personnalités qui, aujourd’hui, ont beaucoup de mal à cacher leur désarroi. Car «Gégé», comme on l’appelle affectueusement à Lyon (et avec une pointe de mépris à Paris), avait pris soin de tout verrouiller pour préparer son probable retour. Comme s’il avait pressenti, en fin politique qu’il a toujours été, qu’il n’était pas fait pour le job. Mais bon, «ministre de l’Intérieur», sur un CV, ça en jette !
Dans le train qui le ramenait à la maison, l'ex-futur maire de Lyon s'est laissé aller à quelques confidences. Dans un élan de sincérité, il a dévoilé l'une des raisons majeures de son départ (ou plutôt de son retour) : le temps. Pas celui qui passe. Mais celui qu'il fait. Car les conditions climatiques ne sont pas étrangères à sa démission : «A Paris, il faisait gris, à Lyon, il fait beau.» Sans doute faisait-il allusion, un brin provocateur, au climat social qui se dégrade. Ou alors était-ce une évocation subtile de la grogne légitime des retraités ou du malaise croissant des policiers ? Que nenni ! L'ex-premier flic de France parlait bien ici, aussi serein que souriant, de la pluie et du beau temps. A la décharge de Gégé, il est vrai que les questions de climat n'ont jamais été aussi préoccupantes. Nicolas Hulot ne les a-t-il pas lui aussi invoquées lors de sa démission ?
Mais la grisaille parisienne n'est pas seule responsable. Au même journaliste qui recueillait ses impressions à chaud (le train approchait de Lyon et le ciel se dégageait), l'ex-premier flic de France a conclu son propos par un aveu de taille : «Ici, on mange tôt.» Parce qu'en plus du ciel gris, un ministre de la République doit dîner tard ! Il était effectivement temps de rentrer. Servir l'intérêt général exige décidément trop de sacrifices. La pluie, passe encore, mais la faim ! Au célèbre «gouverner, c'est choisir !» de Pierre Mendès France, Gérard Collomb oppose désormais sa propre doctrine : «Gouverner, c'est renoncer». Mais pas à tout ! Seulement aux responsabilités liées à la sécurité et à l'avenir des Français. En aucun cas aux privilèges du calife de la troisième ville de France (qu'il n'a jamais cessé d'être si l'on en croit les confidences de moins en moins discrètes des personnels de la mairie ou de la métropole de Lyon), où les équipes, contrairement aux voyous pendant les dix-sept derniers mois, ont recommencé à trembler. Parce que Collomb ne veut voir qu'une seule tête : la sienne.
Le passage de Collomb à l’Intérieur ne laissera qu’une toute petite trace dans les livres d’histoire (noyé au cœur des pages consacrées au Tigre, «le Gag du Lyonnais» (1) pourrait faire une bonne brève). Le deuil des policiers a d’ailleurs été très court…
En 2011, Collomb sortait un livre-programme très pompeusement intitulé : Et si la France s'éveillait… (2). Dans cet ouvrage injustement passé inaperçu, le maire de Lyon esquissait les contours d'une France moderne, débarrassée de ses torpeurs et prête à affronter les défis du XXIe siècle. Une France enfin armée pour échapper aux pesanteurs de l'Ancien Monde. Celui des castes et des conservateurs de tout poil, celui des cumulards et des professionnels de la politique fatigués. Pourtant, M. Collomb semble l'aimer plus que quiconque l'«ancien monde», lui qui l'incarne si bien. Il faut dire qu'on y est bien dans l'ancien monde : il fait beau, on mange tôt et on mange bon. La France a eu un Tigre, elle vient d'acter le départ d'un vieux matou qui aime le beau temps et les gratons servis à l'heure. Si toutefois la France venait à s'éveiller, il faudra bien faire attention à ne pas troubler le sommeil de monsieur le maire.
(1) Une de Libération, du 3 octobre. (2) Et si la France s'éveillait… Gérard Collomb, Plon, «Tribune libre», 2011.