On aurait aimé que la première loi du gouvernement concernant l’industrie du sexe en France permettrait de revenir sur les politiques de pénalisation, mais c’est encore une fois sous la pression des prohibitionnistes, que celui-ci agit.
Madame Schiappa et monsieur Mahjoubi sont chargés de trouver les moyens de limiter l’accès des moins de 18 ans à la pornographie en ligne. Cela fait plusieurs années maintenant que cette revendication est un cheval de bataille pour ceux qui y voient une première étape vers l’interdiction totale de la pornographie. Mais la mesure est soutenue également par certains producteurs porno qui considèrent que l’accès libre et gratuit via les plateformes d’échanges de contenus en grande majorité piratés nuit à leur commerce.
Dans une interview au journal Le Monde, monsieur Mahjoubi s'est voulu rassurant sur le fait que le gouvernement n'était pas «anti-porno» et que sa consommation faisait partie de la liberté de tout citoyen adulte. La question est épineuse car il s'agit de préserver les libertés individuelles comme celle du respect de la vie privée, et donc l'anonymat des personnes qui fréquentent ces sites, tout en contrôlant qu'ils soient majeurs. Il est envisagé de passer par des «tiers de confiance» via la sous-traitance d'un «site qui certifie que vous êtes bien majeurs». Mais comment s'assurer que les données collectées sur les consommateurs de porno restent limitées à leur âge et ne soient pas diffusées ou utilisées ensuite à leur insu?
Le Royaume-Uni a déjà tenté l'expérience avec une des lois les plus restrictives d'Europe sur l'accès au porno en ligne. Dans les faits, c'est plutôt un échec car l'interdiction faite aux mineurs est facilement contournée, notamment via l'usage des réseaux sociaux où le contenu pornographique n'est pas majoritaire et où l'échange de contenu est instantané.
La question de l’accès des mineurs au porno est sensible car on reproche à la pornographie de représenter une image faussée de la sexualité, axée sur la performance, et violente à l’égard des femmes réduites à l’état d’objets au profit du désir masculin. Ces critiques et débats existent depuis longtemps, et en réponse, des formes de pornographie féministes et alternatives tentent d’exister en dehors des productions les plus mainstream, mais restent encore trop souvent perçues comme des niches dans un univers majoritairement masculin.
Une autre réponse que l’on n’entend pas assez devrait être de rappeler le rôle et la responsabilité de l’état et des pouvoirs publics dans l’éducation des jeunes à la sexualité. Si la pornographie est dénoncée comme si influente c’est aussi parce que c’est souvent la seule forme de discours disponible sur le sexe. Toutes les tentatives pour promouvoir une éducation sexuelle féministe ont échoué, par peur des réactions antiféministes et homophobes visant à «protéger les enfants».
Depuis quelques jours, le journaliste Robin d’Angelo fait parler de lui en présentant son travail d’enquête après s’être «infiltré» sur des tournages de films. Il tient un discours intéressant en liant les mauvaises conditions de travail que subissent les acteurs, et surtout les actrices, avec les mauvaises représentations qui en découlent et qui impactent négativement la jeunesse.
Ses interventions ont été inégalement appréciées dans la communauté des travailleuses du sexe sur les réseaux sociaux en ligne. Certaines considérant salutaire le fait de pointer les abus les plus flagrants de l’industrie, tandis que d’autres ont peur que le cas d’une mauvaise production stigmatise ensuite l’ensemble de la profession. Beaucoup regrettent de plus qu’un homme extérieur à l’industrie obtienne une couverture médiatique importante en prétendant infiltrer un «milieu secret» et révéler ce que des actrices disent en réalité depuis des années sans être écoutées.
Il est vrai que la production Jacquie & Michel au centre de cette enquête est critiquée depuis longtemps. En 2015, le STRASS (syndicat du travail sexuel) avait par exemple publié le témoignage accablant de l'actrice Leonarda Guinzburg sur son site. Les mauvaises conditions de travail dans le porno ont par ailleurs été dénoncées par la réalisatrice Ovidie dans son documentaire Pornocratie sorti l'an dernier.
Documentaire «Pornocratie» - Réalisation Ovidie - Diffusé sur Canal + le 18/01/2017 from Alexandra GOSSET on Vimeo.
Ovidie a pendant longtemps milité pour la promotion de la prévention dans le milieu du porno, et pour dénoncer les discriminations des femmes dans leur reconversion ou le harcèlement qu’elles subissent lorsqu’elles sont reconnues dans l’espace public. En pleine campagne MeToo contre les violences sexistes et sexuelles, les actrices porno se sont retrouvées seules sans être réellement prises en compte. Plusieurs prennent pourtant régulièrement la parole, or malheureusement, aucune stratégie de lutte contre ces violences n’est en considération. C’est le cas de Nikita Bellucci qui avait témoigné sur plusieurs plateaux de télévision.
Il serait donc intéressant que le gouvernement qui s’intéresse à la diffusion du porno sur Internet s’intéresse aussi à améliorer la vie des personnes qui l’exercent, d’autant que contrairement à d’autres formes de travail sexuel, le travail pornographique n’est pas pénalisé par la loi, et pourrait plus facilement être protégé par les dispositions existantes dans le droit du travail.