Questions à Naïl Ver-Ndoye, professeur d'Histoire-Géographie et auteur avec
Grégoire Fauconnier de Noir - entre peinture et histoire (Omniscience, 2018).
Quelle est la nouveauté de votre ouvrage ?
Tout d’abord, notre approche de l’histoire des Noirs n’est pas «
esclavageo-centrée ». Récurrente lorsque l’on évoque les Noirs, la thématique
de l’esclavage ne représente ici qu’un thème sur les 10 que comporte l’ouvrage
: allégorie d’un territoire, religion, corps, figures politiques, domesticité,
talents, guerre, scène de vie et présence noire. Pour la même raison, nous
n’avons pas voulu développer un thème spécifique sur la colonisation de
l’Afrique.
De plus, notre approche est inédite car elle s’intéresse uniquement à la
peinture réalisée par des artistes européens et non américains car ces derniers
ont tendance à utiliser d’autres références. En ce sens, nous pouvons parler
d’un livre « afro-européen ».
Ce livre est un mélange de coups de cœur qui coïncident souvent avec les
vies exceptionnelles des Noirs de ces tableaux. Il s’agit d’un livre d’art qui
ne s’adresse pas seulement aux spécialistes mais aussi aux profanes, aux
curieux, aux rêveurs et aux passionnés car il se veut particulièrement
accessible et divertissant. Notre métier d’enseignants nous pousse à
transmettre de façon pédagogique c’est pourquoi, les textes ont été rédigés
avec un souci de clarté et d’intelligibilité. Dans le même sens, la
présentation, peinture sur la page de droite et texte didactique sur celle de
gauche, permet de ne pas rebuter le public non expert et fidélise le lecteur
tout au long de l’ouvrage. Les œuvres en écho proposées créent une mise en
réseau autour de l’artiste ou du thème. La partie « Pour aller plus loin »
permet au lecteur d’assouvir sa soif de connaissance par des suggestions de
livres, de documentaires et de films.
Quelles sont les raisons qui vous ont
poussé à écrire ce livre ?
Ce livre nous paraissait important car, avant l’avènement de la
photographie, rien ne paraissait attester de la présence de Noirs en Europe ou même
de liens divers et variés d’Européens avec des Noirs. Ainsi, notre livre commence
à la Renaissance, l’âge d’or d’une peinture qui se technicise.
Nous voulons apporter notre grain de sable à l'édifice culturel sur un sujet pour lequel il
est difficile de s'informer. Ces tableaux peuvent ainsi servir de preuves
historiques parce qu'ils représentent des Noirs au Portugal ou en Suède. Dès la
Renaissance, de très nombreux artistes de toute l'Europe peignaient des Noirs
et chaque année nous « découvrons » de nouveaux tableaux qui mettent
en scène des Noirs. Nous avons commencé à dénombrer le nombre de tableaux dont nous
voulions parler mais c'était mission impossible à cause de leur très grand nombre !
Pouvez-vous nous parler de deux œuvres qui
vous ont particulièrement marqué ?
Choisir parmi les 300 peintures que comporte ce livre est toujours difficile.
Voici deux exemples qui nous ont fortement marqué.
La scène de viol d'une femme noire dans Scènes
de mœurs ou Le Rapt de la Négresse par Christiaen van Couwenbergh de 1632
était particulièrement difficile à commenter. Ce tableau nous invite à regarder
les inégalités entre hommes blancs et femmes noires et dépeint très crûment une scène de viol. Notre analyse de
cette peinture se concentre ainsi sur les relations de pouvoir à cette époque.
Cependant, nous ne voulons pas parler uniquement de rapports
dominants-dominés et avons aussi fait le
choix de vous présenter la toile d'un peintre allemand peu connu, Emil
Doerstling. Cette peinture, Bonheur
d'amour prussien de 1890 dépeint l'amour d'un couple ou nous pouvons voir
un homme noir et une femme blanche enlacés. Grâce à une enquête menée par
des historiens, les descendants de ce couple ont même pu (re-)découvrir leur
ancêtre noir !
Naïl Ver-Ndoye et Grégoire Fauconnier, Noir - entre peinture et histoire (Paris : Omniscience,
2018).