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Chronique «La cité des livres»

Mauvaise nouvelle : le monde progresse !

Chronique «La cité des livres»dossier
Steven Pinker a déjà démontré, dans un best-seller mondial, que la violence recule dans nos sociétés. Il ajoute aujourd’hui avec un nouveau livre que le progrès est continu depuis les Lumières, et que la condition humaine ne cesse de s’améliorer.
publié le 6 novembre 2018 à 17h06
(mis à jour le 6 novembre 2018 à 18h20)

Voilà un livre qui rencontrera le scepticisme d’une majorité de nos contemporains, persuadés que tout va très mal en ce bas monde, que la guerre, la pollution, le changement climatique, la soumission au capitalisme pour les uns, l’ouverture des frontières ou l’oubli des traditions pour les autres, conduisent l’humanité à sa perte. Mais voilà un livre qui réjouira tous les partisans d’une pensée un tant soit peu rationnelle, qui croient que le progrès humain est encore possible.

Steven Pinker, professeur de psychologie à Harvard, avait déjà rencontré un succès mondial en démontrant, appuyé sur une foule d'études incontestables, que la violence, en moyenne, ne cesse de reculer dans nos sociétés depuis la Préhistoire. Une évolution où les guerres se raréfient et la criminalité diminue dans des proportions considérables, même si elle connaît des irrégularités, des retours en arrière spectaculaires à certains moments de l'histoire. Il généralise cette fois son propos en démontrant que le sort de l'humanité, en tout cas depuis le siècle des Lumières qui a déclenché la spirale bienfaisante du progrès moderne, s'est amélioré de manière massive, rapide et irréfutable, que les lamentations déclinistes d'une certaine droite ou les prédictions catastrophistes d'une certaine gauche procèdent d'une pensée à œillères, que l'application de la science à l'industrie, à la médecine ou à la protection de l'environnement, la diffusion des valeurs de droits de l'homme à travers la planète ne cessent de rendre la vie des terriens plus supportable et plus intéressante. Dans tous les secteurs de la vie humaine - la santé, l'éducation, le niveau de vie, la sécurité, les droits de l'homme, la démocratie, etc. -, le bien-être de l'humanité n'a cessé depuis deux ou trois siècles de connaître des progrès extraordinaires. L'espérance de vie, bloquée aux alentours de 40 ans pendant des siècles, est passée à plus de 70 ans. Le niveau de vie moyen a connu une progression impressionnante. Il y avait 90 % d'humains dans l'extrême pauvreté il y a un siècle et demi, le chiffre est tombé à 10 %. Il y avait une démocratie dans le monde au début du XIXe siècle, il y en a plus de cent aujourd'hui, qui réunissent la majorité des humains, etc.

Psychologue cognitif, Pinker explique pourquoi ses thèses, fondées sur une multitude d’études statistiques, sociologiques ou historiques difficiles à contester, se heurtent à l’incrédulité goguenarde des esprits forts. Deux biais fondamentaux affectent le jugement de la plupart des humains. Le «biais de disponibilité», en premier lieu, qui conduit celui qui examine une thèse à la juger en fonction des exemples concrets dont il dispose et non à partir d’études systématiques, quand bien même celles-ci existent. Celui qui est témoin, directement ou par la télévision, de crimes particulièrement odieux, en déduit facilement que la criminalité ne cesse de s’aggraver dans son pays, quand bien même les statistiques montrent le contraire. Celui qui considère la guerre de Syrie en vient à penser que la violence dans le monde augmente alors qu’elle diminue régulièrement depuis 1945.

Le «biais de confirmation», en second lieu, qui incite les humains à privilégier les informations qui confirment leurs convictions ou leurs préjugés et à négliger les autres. Ce biais est particulièrement virulent chez les extrêmes politiques et chez les «intellectuels critiques» : pour justifier leurs vues impérieuses et leurs solutions radicales, ils partent du postulat que l’état de la société est par définition exécrable et qu’il ne peut que s’aggraver. Ils agitent, à tout propos, les informations les plus alarmantes et passent les autres sous silence.

De ces deux biais naît ce que Pinker appelle une «progressophobie», qui rejette comme naïve ou manipulatrice toute étude qui tend à montrer que la société, quoi qu'on en dise, progresse. Ce qui déplaira à droite et à gauche : le livre de Pinker est la meilleure réfutation, systématique et étayée, des théories déclinistes qui alimentent les thèses de la droite conservatrice sur la nécessité de revenir aux valeurs traditionnelles et de s'enfermer derrière des frontières soi-disant protectrices, ce qui est la meilleure manière d'arrêter la marche du progrès. Mais l'ouvrage démontre aussi sans appel que le capitalisme industriel, dès lors qu'il est régulé, que ses excès sont compensés par un Etat-providence étendu et bien organisé, est de loin le plus sûr système pour améliorer la condition des plus pauvres, proposition démontrée par la prospérité insigne des nations développées, et par la réduction rapide de l'extrême pauvreté dans les pays émergents, à la faveur de la mondialisation des dernières années. Vous n'y croyez pas ? Lisez le livre.