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Chronique «Politiques»

Semaine particulière pour Emmanuel Macron

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La commémoration de la Grande Guerre marque pour le chef de l’Etat le début d’une difficile reconquête de sa popularité.
Emmanuel Macron à Morhange lundi, avant de poursuivre sa tournée à Verdun. (Photo Pascal Bastien pour Libération)
publié le 7 novembre 2018 à 19h06
(mis à jour le 7 novembre 2018 à 19h14)

La semaine de commémoration nationale et de reconquête politique conçue, mise en scène et interprétée par Emmanuel Macron doit théoriquement s'achever en apothéose le week-end prochain par la cérémonie de l'Arc de triomphe et par le Forum de la paix, en présence notamment de Donald Trump, Vladimir Poutine, Theresa May et Angela Merkel. Cette superproduction de la communication présidentielle, minutieusement préparée et organisée, sera sans doute sans équivalent durant le reste du quinquennat. Elle est légitime et intéressée : légitime parce que tout président de la République aurait voulu célébrer solennellement le 100e anniversaire de l'armistice de 1918 et, à cette occasion, sillonner les régions dévastées par la Première Guerre mondiale dont les conséquences ont tant bouleversé le Vieux Continent ; intéressée parce qu'Emmanuel Macron se saisit de l'occasion pour tenter d'amorcer une reconquête de l'opinion dont il sait qu'elle sera longue et difficile.

D'ailleurs, si la commémoration nationale sera sans doute une réussite, d'autant plus qu'Emmanuel Macron est à son meilleur dans les circonstances les plus solennelles et les plus ambitieuses, la reconquête de l'opinion, elle, apparaît actuellement impossible et sera donc, au moins à court terme, un échec. En fait, la reconquête d'une popularité présidentielle évanouie constitue sans doute l'exercice politique le plus difficile et le plus ingrat sous la Ve République. Seuls François Mitterrand et Jacques Chirac y sont parvenus, le premier de façon plus éclatante que le second, mais l'un comme l'autre à l'issue d'une période de cohabitation durant laquelle ils incarnaient bien davantage l'opposition à la politique gouvernementale que l'exercice du pouvoir.

Pour redevenir populaire, un président mal aimé doit donc en somme commencer par se faire battre avant d’espérer prendre sa revanche. Expier pour rebondir. En l’occurrence, même si Emmanuel Macron perd les élections européennes (c’est possible), puis les élections municipales (c’est probable), il demeurera le symbole et même le totem du pouvoir exécutif. Seule solution, une dissolution rapide et suicidaire provoquée par un événement spectaculaire aujourd’hui difficile à imaginer, ou bien par une réussite si évidente, si mesurable de la politique économique et sociale que les Français, malgré leur scepticisme, malgré leur déception, malgré leur irritation, accepteraient de la reconnaître. Une heureuse hypothèse qui serait cependant une prouesse inédite et un succès sans précédent.

Encore faut-il, lorsqu’on s’attaque à la reconquête de la popularité perdue du chef de l’Etat, distinguer trois composantes bien distinctes : la popularité présidentielle, la popularité politique et la popularité personnelle. La première est accessible, la deuxième est difficile, la troisième est presque impossible. Reconquérir une popularité présidentielle, cela est tout à fait imaginable. Dans l’ordre du régalien (diplomatie, défense, sécurité, immigration, laïcité), les occasions de marquer ne manquent pas, surtout dans une Europe aussi instable et aussi affaiblie qu’aujourd’hui. Cela s’est déjà produit avec les deux guerres d’Irak ou avec le référendum de Maastricht, et les circonstances actuelles s’y prêtent, surtout si Emmanuel Macron cesse d’opposer les gentils progressistes aux méchants nationalistes pour incarner plutôt une Europe qui protège contre une Europe qui inquiète.

La popularité politique, elle, apparaît beaucoup plus lointaine et rebelle. Elle impliquerait, c’est un préalable, que les Français puissent concrètement mesurer une amélioration de leur pouvoir d’achat réel, ressenti, ainsi que des progrès collectifs incontestables. Le climat actuel n’y correspond guère et il faudrait au moins deux ans pour que des hypothèses aussi heureuses aient la moindre chance de se réaliser. Emmanuel Macron doit donc faire son deuil au moins provisoire de toute popularité politique. Quant à sa popularité personnelle, elle a été mise en pièces de façon absurde par une succession de maladresses évitables, d’incidents hystérisés (l’affaire Benalla) et une image littéralement culbutée par les chaînes d’information continue et par les réseaux sociaux. Le jeune président si atypique, si transgressif, si novateur en 2017 se métamorphose soudain en 2018 en héritier banal, méprisant et malfaisant. Des clichés plus faciles à enraciner qu’à détruire.

Reste une piste inexplorée : une popularité présidentielle reconquise, sans popularité politique ou personnelle, face à des champions des oppositions sans stature et sans crédit. Aléatoire. La popularité d'un chef de l'Etat sous la Ve République est une porcelaine précieuse qui, si elle se brise, ne peut être reconstituée que par des virtuoses. Emmanuel Macron devrait prévoir une visite à la Manufacture nationale de porcelaine de Sèvres.