Ceux qui croient que l'histoire se transforme par les agissements des vaillants, des audacieux, de ceux qui n'ont pas froid aux yeux se trompent toujours.
Ce sont au contraire les êtres les plus conformistes, les moins courageux qui s’en chargent. En cherchant à être comme tout le monde ils finissent par remettre en question les préjugés les plus ancrés.
On oublie trop comment ces petites et grises batailles pour ressembler à son voisin finissent par accoucher de sociétés plus égalitaires. Bref, on fait comme si ces véritables héros du conformisme n’apportaient rien d’important à nos démocraties.
C'est de cette façon me semble-t-il qu'il faut lire la démarche du célèbre animateur de télévision Marc-Olivier Fogiel qu'il rend publique dans son ouvrage Qu'est-ce qu'elle a ma famille ? (Grasset). On sait qu'il y raconte l'aventure américaine grâce à laquelle il est devenu père de deux petites filles portées par une femme qui lui fit un don si inestimable. Une femme qui avait, semble-t-il, rêvé toute sa vie durant d'être en mesure de combler des désirs comme celui de «MOF» et de son époux.
Certes, beaucoup d’animateurs de télévision, politiques et journalistes français de tous bords ne sont pas favorables à cette pratique qu’ils assimilent à tort à une vente d’enfant. Plus encore. Les élites médiatiques pensent qu’il s’agit d’un moyen pour les riches de voler les enfants des pauvres. Ils sont absolument convaincus qu’il se tisse entre la femme enceinte et l’enfant qu’elle porte un lien que rien ni personne ne saurait jamais défaire, surtout pas un vil contrat. Cette relation-ci est à leurs yeux comme le socle même de la famille et de la société civile, et c’est pourquoi on ne saurait la mettre en cause sans bazarder sa belle harmonie.
Cette conviction des faiseurs d’opinions est si profonde que même ceux qui sont pour l’ouverture de la procréation médicalement assistée (PMA) à tout un chacun refusent la gestation pour autrui (GPA).
Etre contre la GPA est une manière de dire à ceux qui les entendent qu’ils ne sont pas des barbares, qu’ils portent dans leurs veines l’essence même de la France… de ses conquêtes politiques, de ses valeurs démocratiques. Que la France, à la différence des Etats-Unis, est un lieu où tout ne saurait pas être marchandé.
Marc-Olivier Fogiel fut l’un de ses faiseurs d’opinion. Il y a à peine une décennie, alors que le mariage pour tous n’existait pas encore, il aurait peut-être crié avec les loups. Mais voilà que le miracle de pouvoir enfin vivre comme tout le monde, de ne plus être condamné à une orientation sexuelle sans descendance s’empara de lui au point de défier ce qui avait été jusqu’alors le but même de son métier : être du côté de ceux qui ont raison.
Peu importe que ses motivations soient égoïstes. Ce qui compte, c’est la force inouïe que lui donna cette volonté d’avoir un sort aussi enviable que celui d’un hétérosexuel classique, cette force susceptible pourtant de remettre en question sa réputation de faiseur d’opinion bon sous tout rapport.
Si chaque animateur dans ce pays trouvait cette force sur d’autres questions, nous vivrions dans une société dans laquelle le public bouderait moins les médias.
Une société dans laquelle, loin de chercher à nous bourrer le crâne avec leurs stupides leçons de morale pour attardés, animateurs et journalistes nous feraient vivre enfin cette stupéfiante aventure qu’est la démocratie. Espérons que le mépris, la haine, les railleries injustes dont sera l’objet MOF après la sortie de son livre l’obligeront à repenser son métier. C’est tellement instructif d’être traîné dans la boue pour comprendre ce que ressentent les laissés-pour-compte, les oubliés, les piétinés. C’est cela, et non pas les jolies têtes de ses deux petites filles, qui feront que MOF deviendra un jour le journaliste sérieux, audacieux et respectable qu’il aurait dû toujours être.
Cette chronique est assurée en alternance par Marcela Iacub et Paul B. Preciado.