«L'addition des colères ne fait pas un projet pour le pays», observait Emmanuel Macron sur TF1 mercredi soir. C'est une grosse erreur d'analyse. Le projet des gilets jaunes est parfaitement clair : qu'il s'en aille. Et vite. En quelques semaines, le mouvement des gilets jaunes est passé d'un mouvement contre la hausse du carburant à un soulèvement contre le pouvoir en place. D'une jacquerie fiscale à une révolution.
La référence à 1789 est permanente chez les gilets jaunes. Sur le groupe Facebook «Gilet jaune», l'image de couverture est une peinture de la prise de la Bastille. Pour beaucoup, le mouvement ne doit pas se concentrer sur le prix des carburants mais doit voir plus large et renverser le pouvoir en place. «BFM commence à comprendre que c'est pas que le carburant et que quoi que fasse le gouvernement, c'est trop tard», explique un gilet jaune. Un sondage sur les revendications du mouvement organisé sur la page «La France en colère» plaçait très largement en tête «destitution totale de ce gouvernement» (756 votes), loin devant «je suis automobiliste en colère» (393 votes).
La fracture entre le Président et le peuple est maintenant si profonde que sur Internet, l’antimacronisme est en train d’atteindre les sommets tutoyés par l’anti-hollandisme.
Très vite après l'élection de François Hollande, une vague de «résistance» s'était levée sur Internet pour lutter contre la «dictature» Hollande. Une myriade de pages Facebook de lutte s'était créée pour pilonner quotidiennement le président socialiste : «Mouvement citoyen pour la démission de François Hollande», «François Pignon à l'Elysée», «Les aventures de Flamby», «Comité de surveillance du Flamby», «La gauche m'a tuer»… On ne parlait pas encore de fake news mais l'esprit y était. Ces pages anti-Hollande avaient contribué à créer un véritable folklore visuel et langagier. François Hollande y était surnommé «Flamby», «Hollandouille», «François Pignon» ou «Simplet 1er».
En politique, tout est une question de récit. Pendant la première année de son élection, Emmanuel Macron était parvenu à maintenir le récit d'un président disruptif, quasi invincible, qui ne recule pas devant les réformes et se bat contre les conservatismes. En Inde, les chèvres de New Delhi s'inclinaient même au passage de Brigitte Macron. Et puis l'affaire Benalla est arrivée. Jupiter est descendu de son Olympe. La rentrée fut également catastrophique, avec les départs de Nicolas Hulot et de Gérard Collomb. La «poudre de perlimpinpin» des débuts s'est définitivement envolée. La fin du récit de la macronie triomphante a ouvert la voie à un autre récit, celui d'un président affaibli, méprisant, loin des Français. C'est dans ce paysage qu'ont prospéré les gilets jaunes, qui forment le premier mouvement populaire d'antimacronisme radical.
Comme avec Hollande, on retrouve sur le Web des dizaines de pétitions demandant son départ. Certaines connaissent un franc succès: 122 000 signatures pour le texte «Pour la destitution d'Emmanuel Macron !». Et comme son mentor en politique, Emmanuel Macron se voit affublé de surnoms méprisants : «Manu», «Micron», «Macaron»… Sur les groupes Facebook des gilets jaunes, on voit également apparaître ces jpegs cheap qui avaient sapé le Google images de François Hollande. «Qu'ils viennent me chercher», lançait Emmanuel Macron, bravache, pendant l'affaire Benalla. Ils t'attendent, «Manu», et ils sont chauds.
Par rapport à l'anti-hollandisme, l'anti-macronisme a ses spécificités. Brigitte Macron, «la vieille», est souvent invoquée pour l'humilier. On retrouve aussi de nombreuses références homophobes.
Face à la violence de cet antimacronisme, le journal la Voix du Nord a été forcé de fermer certains fils de commentaires : «Sous chaque article lié [à la mobilisation des gilets jaunes], ce sont des flots de commentaires appelant à "virer" Emmanuel Macron et à "lui montrer de quel bois on se chauffe". Nous avons été amenés à supprimer de notre page Facebook l'article sur ce suspect d'ultradroite qui voulait poignarder Emmanuel Macron à Charleville-Mézières ; les incitations au meurtre et commentaires appelant à "finir le travail" ne s'arrêtaient plus.»
Dans son interview sur TF1, Emmanuel Macron avait reconnu : «Je n'ai pas réussi à réconcilier le peuple français avec ses dirigeants.» Il faut au moins lui reconnaître cette lucidité.