Je me souviens quand, au lancement de la campagne des européennes de 2009, j'ai pour la première fois parlé de «réconcilier ceux qui ont peur de la fin du monde et ceux qui ont peur de la fin du mois». Beaucoup alors s'étaient insurgés, trouvant la saillie trop violente. Presque dix ans plus tard, elle est sur toutes les lèvres. Je pourrais m'en réjouir. La seule chose que je voie, c'est le temps perdu. L'immense gâchis. Ce sont les occasions de faire et de construire que les gouvernements successifs ont ratées. Et ce gouffre qui chaque jour grandit entre des élites coupées du monde et un monde «périphérique» privé d'espoir. Faute de traiter la crise écologique et la crise sociale dans le même temps, nos gouvernements renoncent à combattre ET l'une, ET l'autre, laissant les Français seuls, dans l'impasse, au risque de faire vaciller la démocratie.
Les dernières annonces d’Édouard Philippe ne font pas exception. Lui aussi, a renoncé. Comme avant lui les Républicains et les Socialistes l’avaient fait. Tous ont fait de l’écologie la victime expiatoire des fractures territoriales, sociales et générationnelles qu’ils ont creusées depuis trente ans. Nous leur devons les gares fermées, les paysans suicidés, la concentration des commerces en périphérie, les services publics supprimés et déshumanisés, les distances toujours plus longues, la malbouffe, la pollution, la relégation…
Aux orties donc cette fiscalité, comme Nicolas Sarkozy l’avait fait avant eux ! Comme François Hollande et Ségolène Royal avec la taxe poids lourds. A l’époque ce n’était pas les gilets jaunes mais les bonnets rouges qui défilaient. On ne les a pas sauvés. L’industrie agroalimentaire bretonne a sombré. Et on s’est privé de 5 milliards d’euros d’investissements dans les transports collectifs. Restent les portiques, ces arcs de triomphe du renoncement.
Les lobbies du pétrole et de l’automobile peuvent aujourd’hui se réjouir : rien ne leur est demandé, ni sur la pollution, ni sur la consommation. Mais nous, citoyens, nous avons la gueule de bois.
Cette résolution de crise au malaise des gilets jaunes, au fond, c’est celle du zapping. La politique ne pense plus que dans l’instant, incapable qu’elle est de se projeter dans le long terme. Elle zappe les sujets importants, au gré du vent, ou plutôt des impératifs des chaînes d’info en continu.
Sauf que la fracturation territoriale, les inégalités et l’emballement climatique, nous ne pourrons pas les zapper. Ils vont nous rattraper… et zapper ce qui reste de démocratie et de vivre ensemble. Une fois encore, en renonçant, nous ne soulagerons pas les souffrances. Ce ne sera que cautère sur jambe de bois.
Un jour prochain, les enfants des gilets jaunes nous regarderons avec le mépris que nous aurons mérité parce que nous aurons été incapables de construire leur avenir.
C’est pour ça qu’il faut défendre l’Europe. Parce qu’aux prochaines élections, soit on élit l’Europe des populismes, de la finance casino, des énergies sales et de la compétition de tous contre tous. Soit on élit l’Europe des terroirs réconciliés, des énergies renouvelables et des emplois locaux.
Parce qu’aujourd’hui, c’est au niveau européen que tout se joue. C’est au niveau européen qu’on aura le courage collectif que l’on n’a plus au niveau national. C’est au niveau européen qu’il faudra livrer bataille notamment pour que chaque euro collecté par la fiscalité écologique soit rendu à nos concitoyens pour les accompagner dans cette nécessaire transition et investir dans les transports du quotidien et dans l’isolation des logements.
Créons, enfin, cette «sécu» de l’environnement que j’appelle de mes vœux. C’est la réponse à la France qui souffre, aux enfants victimes de la pollution de l’air, aux 12 millions de personnes qui subissent la précarité énergétique, aux malades des pesticides, aux victimes des inondations et des sécheresses. Au lendemain de la seconde guerre mondiale, la France a réuni ses forces vives pour relever les défis de la santé et du social. Retrouvons le courage du Conseil National de la Résistance pour nous attaquer ensemble - familles, consommateurs, associations, élus, entreprises, salariés, Etat - au défi de la transition écologique.
Construisons l’avenir avec un grand plan européen d’investissement sur la transition écologique. Réorientons les 300 milliards d’euros dépensés chaque année par la Banque centrale européenne pour qu’enfin ils servent à financer notre avenir, c’est-à-dire la mobilité du quotidien, les énergies renouvelables et le logement. L’Europe a été capable de dépenser 4 500 milliards d’euros pour sauver ses banques.
Et dans ce contexte de fronde et de souffrance, autant se parler franchement… J’ai hésité avant de décider de me rendre à la COP 24 sur le Climat. Une COP en Pologne, pays du charbon qui plus est… Une COP de plus, une COP de trop ? Un raout où les grands de ce monde se retrouvent dans l’entre soi habituel, font un petit tour, se congratulent autour de l’idée que l’heure et grave… et puis s’en vont ? Un raout où trop souvent les maigres décisions durement arrachées sont aussitôt enterrées ?
Pas question pourtant de laisser place vide. Pas question de déserter. Car nous n’avons plus le temps. Il nous faut y aller mais avec la ferme intention de ne pas laisser les grands de ce monde, s’offrir une fois de plus, une fois de trop, le luxe de ne rien faire. La famille écologiste européenne y sera pour défendre une Union prenant le leadership de la bataille climatique, face à Trump, Poutine ou Bolsonaro, face aux lobbies du pétrole, du charbon du gaz et du nucléaire. Pour porter la voix des millions de citoyens qui, à travers le monde, marchent pour le climat et appellent à l’action. Pour ces paysans, ces entreprises, ces associations, ces collectivités, ces citoyens qui portent les solutions climatiques et bâtissent un monde solidaire. Nous y serons pour porter l’espoir.