Le gouvernement aura toujours eu un temps de retard. Alors qu’il finit par céder sur les taxes sur l’essence, les gilets jaunes sont passés depuis longtemps à autre chose, parlant de niveau du smic ou des retraites. Quand Macron finit par promettre 100 euros pour les travailleurs au smic, les gilets jaunes ne pensent déjà plus qu’à une chose, le RIC, ou référendum d’initiative citoyenne. Que le Président se rassure, ce sera la dernière de leurs requêtes. Car elle permet d’englober toutes les autres et de faire du peuple le législateur en dernier ressort.
Comment cette idée relativement technique a-t-elle pu connaître un tel retentissement chez les gilets jaunes ? Comment un mouvement informel et sans tête a-t-il pu se mettre d'accord sur une idée si précise ? Y a-t-il derrière les gilets jaunes, comme l'éditorialiste Jean-Michel Aphatie le prétend, «une organisation souterraine cachée, des tireurs de ficelles, des gens beaucoup plus politisés qu'on ne le croit» qui expliquerait cette soudaine irruption du RIC ?
Première observation : aucun des partis politiques traditionnels n'a réussi à récupérer le mouvement. La détestation viscérale de la classe politique empêche le Rassemblement national et les insoumis d'avoir une réelle influence sur le mouvement. La seule récupération politique qui a fonctionné, c'est celle des partisans du RIC. Le référendum d'initiative citoyenne est une vieille idée qui circule depuis longtemps dans les marges d'Internet, défendue par différentes entités, le Clic (Comité de liaison pour l'initiative citoyenne) d'Yvan Bachaud, l'association Article 3 ou Etienne Chouard et ses «gentils virus». Ce dernier, prof d'économie-gestion de lycée, s'était fait connaître en défendant le non lors du vote sur le référendum européen de 2005. Il avait depuis disparu des radars médiatiques, ostracisé pour ses relations douteuses, notamment avec Alain Soral.
C'est cette nébuleuse de militants de la «démocratie réelle» qui va comprendre que son heure est venue avec les gilets jaunes. Pourtant au départ, le Clic n'y croit pas. Le 16 novembre, à la veille de l'acte I, l'association écrit un article très critique sur le mouvement : «Si cette manifestation était vraiment "citoyenne", on y verrait des revendications "citoyennes" : le contrôle citoyen des taxes par exemple, ou mieux : le référendum d'initiative citoyenne. Malheureusement, il semble que nous ne soyons que face à une protestation d'automobilistes qui s'inquiètent (à juste titre) pour leur pouvoir d'achat, mais qui ne réalisent pas encore la nécessité d'un contre-pouvoir citoyen.»
Mais très vite, les militants du RIC vont comprendre qu'il y a un coup à jouer avec les gilets jaunes et vont pousser leur avantage. Changement de pied le 25 novembre, le Clic publie un communiqué : «Si les gilets jaunes avaient le RIC pour unique revendication, ils l'obtiendraient. Il en serait fini des taxes injustes !» Le même jour, Etienne Chouard tweete : «Puisque 80 % des citoyens soutiennent les GJ et puisque 80 % des citoyens sont favorables au référendum d'initiative citoyenne, c'est une occasion en or pour défendre cette idée simple et révolutionnaire.» A partir de cette date, les militants du RIC vont faire preuve d'un prosélytisme très actif en faveur du référendum sur les groupes Facebook de gilets jaunes.
Le mot RIC va très vite s'imposer dans la conversation chez les gilets jaunes, car il permet d'articuler politiquement le «Macron démission». Si la révolution n'est pas possible et que Macron refuse de démissionner, il faut lui tordre le bras en lui imposant une cohabitation avec le peuple. L'idée d'un «référendum» circule chez les gilets jaunes depuis début novembre : «On désire tous ici un référendum national pour une destitution», lit-on alors sur les groupes Facebook. L'idée est diffuse et pas franchement aboutie. Les militants de la démocratie réelle vont arriver avec une solution clé en main, comme une formule magique capable de résoudre tous les problèmes : le RIC.
Dans la diffusion de cette idée, il faut souligner le rôle majeur joué par Maxime Nicolle, le gilet jaune le plus influent sur Facebook. Pour lui, dès le départ, il est évident qu'il ne faut pas négocier avec le gouvernement. La liste de revendications qui est présentée fin novembre à François de Rugy «ne sera applicable qu'après la destitution du gouvernement par référendum populaire», explique-t-il alors.
Le RIC, que lui font découvrir les militants de la démocratie réelle, lui apparaît comme une révélation. Le 8 décembre, alors que les gilets jaunes manifestent, il participe à une conférence sur le RIC en direct sur le Web avec Etienne Chouard. C'est pour Nicolle une stratégie : «Si on a plein de revendications, l'Etat va nous en prendre une ou deux et on l'aura profond. Par contre, si on demande tous la même chose : que chacun puisse donner sa voix avec un référendum d'initiative citoyenne, comment ils font pour nous dire non ?» L'idée pour Maxime Nicolle est que si tout le monde a des revendications différentes, le seul moyen que chacun soit écouté est de passer par un outil de démocratie directe. «Plus de guerre d'ego, plus de guerre de pouvoir, avec le RIC, plus personne n'a le pouvoir, c'est la population entière qui a le pouvoir», explique-t-il. Cette idée de référendum citoyen s'inscrit dans la «démocratie internet», cet horizontalisme radical qu'on retrouvait dans la mouvance Anonymous, chez les Indignés espagnols, Occupy Wall Street ou Nuit debout. Sur Internet, toutes les paroles se valent, tout le monde peut donner son avis et être entendu. A contrario, la démocratie représentative fonctionne comme l'espace médiatique traditionnel, avec des représentants ou des journalistes, seuls habilités à parler, pendant que le peuple doit sagement se taire.
La démocratie que souhaitent les gilets jaunes est celle des groupes Facebook, où tout le monde y va de son avis, où l’on signe des pétitions et où les grandes questions sont tranchées par sondage. Qui peut imaginer qu’un politique - ou même un gilet jaune - les représente pour décider des grands choix de la nation ? Cela reviendrait à dire que quelqu’un a le droit d’écrire les commentaires Facebook à leur place. Le RIC, l’autre manière de faire la révolution.