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Libération
Reportage

Cergy, vieille ville nouvelle

publié le 26 décembre 2018 à 19h07
(mis à jour le 26 décembre 2018 à 19h27)

«C'est le plus beau site des villes nouvelles», s'exclame Hervé Blumenfeld, du haut de «l'axe majeur» qui surplombe le méandre de l'Oise à Cergy, commune qui marque l'une des extrémités orientales de l'agglomération parisienne, c'est-à-dire de l'espace continûment bâti depuis le centre de Paris. On se trouve là au premier plan d'une perspective pleine de verdure au bout de laquelle se détachent La Défense et le centre de Paris. Philippe Montillet renchérit : «Delouvrier avait raison, il fallait construire là.» Des cinq villes nouvelles créées ex nihilo dans les années 70 pour répartir la croissance parisienne dans des pôles distincts de Paris, Cergy-Pontoise devancerait donc largement Marne-la-Vallée, Melun-Sénart, Evry et Saint-Quentin-en-Yvelines. Et peut-être même celles qui furent construites à la même époque hors de l'Ile-de-France : Villeneuve-d'Ascq près de Lille, Le Vaudreuil près de Rouen, Berre près de Marseille. La clé du succès, c'est l'alliance du panorama dans ce qui était autrefois un minuscule patelin, côté Cergy, et d'un lieu de patrimoine, côté Pontoise où le centre ancien est dominé par la cathédrale Saint-Maclou… et tant pis si la ville nouvelle se construit surtout du côté de l'ancien village. «On a la même chose avec Sénart et Melun», précise Blumenfeld.

Mais la carte postale s'arrête-là. Dès que l'on se tourne pour regarder l'axe majeur qui conduit jusqu'au point de vue, on découvre une voie trop vaste, trop monumentale, trop décentrée du reste de la ville, et donc un peu vide. «Sur les échelles d'aménagement, c'est loupé, constate Blumenfeld avant d'ajouter On marque un axe qui n'existe pas.» Quand on reprend la voiture en direction du quartier de la préfecture - un monumental bâtiment de béton «construit pour dire que l'Etat est là», ajoute l'urbaniste - on mesure tout le décalage entre les plans des aménageurs et la réalité de l'utilisation de la ville par ses habitants. La séparation des différents types de circulations à des hauteurs différentes : les voitures roulent sur des voies sans trottoirs, bordées de talus et enjambées par des passerelles étroites réservées aux piétons, qui semblent ne les emprunter que par nécessité. «C'est complètement inhumain !» soupire Philippe Montillet qui conclut un peu plus tard : «Nous aimons nos environs de Paris, mais certaines choses auraient pu être mieux faites.» Quand on s'arrête à pied sur la dalle vaste et un peu froide, on se sent un peu perdu, tant que l'on n'a pas pris les repères qui semblent familiers aux nombreux étudiants sortant du RER.

Quelles vertus ont ces villes nouvelles ? «D'avoir concentré l'urbanisation, sinon on aurait à la place des dizaines de milliers pavillons», explique Montillet. Les chiffres lui donnent raison, puisque l'intercommunalité de Cergy-Pontoise regroupe 200 000 habitants, un peu plus de 82 000 logements (majoritairement collectifs) et 90 000 emplois. Cette concentration est souvent décrite comme la clé pour offrir aux habitants un cadre de vie agréable en leur fournissant à proximité de chez eux et sans long trajet, travail, commerces ou loisirs. Mais à l'échelle de la métropole parisienne, l'équation trouve vite ses limites. «Parmi les habitants de Cergy, nombreux sont ceux qui vont travailler à l'autre bout de l'Ile-de-France», explique Blumenfeld. Entre les pôles d'emplois très attractifs, comme La Défense, ou très spécialisés, comme sur le plateau de Saclay, difficile de faire coïncider résidence et travail.

Après une quarantaine d'années d'aménagement, le bilan des villes nouvelles est en demi-teinte : «Le principe est une bonne idée, mais elles ne se créent pas d'un coup de baguette magique», explique Montillet, qui insiste sur l'importance de leur laisser du temps pour se structurer. Il cite un mot attribué Paul Delouvrier : «Le succès des villes nouvelles, ce sera quand il y aura des cimetières.» C'est-à-dire, quand les gens y auront vécu assez longtemps pour s'approprier les lieux et les transformer. C'est ce qui se passe à Cergy, où les abords de la préfecture ont été réaménagés. «Ça a beaucoup changé depuis quatre ou cinq ans, constate Montillet. Maintenant, il y a un vrai petit centre. Il faut qu'il y ait de la vie, que les gens marchent !» Aux abords de l'Essec, grande école de commerce, une esplanade donne au bâtiment des allures de campus américain. A deux pas de là, on trouve des bâtiments récents dont les rez-de-chaussée accueillent des boutiques. La dalle a disparu du champ de vision. «Comme à Evry ou Choisy-le-Roi, dont les centres redémarrent parce que les dalles ont été supprimées», souligne l'historien. Preuve que ces «villes nouvelles», qui ne le sont d'ailleurs plus tellement, sont comme les autres agglomérations : c'est en recomposant, en reconstruisant, en s'adaptant aux habitants, qu'on les rend vraiment habitables.

Th.S.