Cap sur un coin chic pour poursuivre ce parcours parisien : le parc du château de Saint-Germain-en-Laye, où Louis XIV vécut plus longtemps qu'à Versailles. Evoquer le Roi-Soleil, c'est expliquer un peu pourquoi l'agglomération a trouvé à l'Ouest une direction privilégiée pour son expansion. «Avant, Paris regardait plutôt vers l'Est : Henri IV construit la place des Vosges, on envisage un axe en direction de Vincennes. Mais avec Louis XIV, il y a un retournement de situation», explique Philippe Montillet. «On prétend aussi que c'est parce qu'il voulait voir le soleil couchant», s'amuse Hervé Blumenfeld. Dans Paris, où l'expansion du Faubourg-Saint-Antoine limite les velléités de développement du côté oriental, cela se traduit alors par l'aménagement de la place de la Concorde, qui ressemblait jusque-là à un égout. Dans son prolongement, de nombreuses cartes dessinent, dès le début du XVIIIe siècle, l'axe qui depuis le Louvre pointe vers la croix de Noailles, au beau milieu de la forêt de Saint-Germain. Alors appelé «grande avenue des Tuileries» dans sa partie parisienne, le tronçon deviendra celui des Champs-Elysées et de l'avenue de la Grande-Armée. Un peu décalée par rapport à cette longue ligne, la perspective qu'offre la terrasse du parc du château de Saint-Germain, en surplomb de la Seine, ouvre sur Le Vésinet et Le Pecq au premier plan, puis La Défense et la capitale. Pour accéder au point de vue, on suit une allée bordée d'arbres, bien proportionnée : «Une terrasse comme celle-là, ça se traite monumentalement», constate Blumenfeld.
A gauche, on aperçoit le pont sur lequel passe aujourd'hui le RER A. Avant lui, le chemin de fer desservait déjà la zone, grâce à une ligne de chemin de fer ouverte en 1837 de Paris jusqu'au Pecq. Le détail a son importance, car cette accessibilité précoce a garanti l'attractivité de l'agglomération : l'intercommunalité de Saint-Germain compte 330 000 habitants. Le cas n'est pas isolé, puisque la ligne de Sceaux, ouverte à la même époque et prolongée notamment en direction d'Orsay, a joué le même rôle au sud de la capitale. «Elle a permis de structurer un "axe scientifique" depuis le Quartier latin jusqu'à Orsay où, par exemple, Marie Curie et son mari avaient un laboratoire. Aujourd'hui, il se prolonge jusqu'au plateau de Saclay», explique Montillet. L'actuel dynamisme scientifique tiendrait donc au train du XIXe siècle.
Quand on observe Le Vésinet depuis la terrasse de Saint-Germain, on aperçoit surtout la verdure. Signe là encore d’un héritage ancien, cette fois-ci forestier : ce projet urbain de Napoléon III a pris place sur une forêt que Louis XIV fit planter : «On pouvait probablement voir le roi chasser depuis la terrasse», imagine Blumenfeld, qui souligne que les forêts royales avec leurs chemins en étoile - toujours précisément dessinés sur les cartes de l’époque moderne - ont pu servir de modèle à l’urbain : «La culture des forêts de chasse était le modèle de développement des villes», dit-il.
Le Vésinet, où les principales avenues partent de l'actuelle place de la République, semble en effet suivre ce modèle. Sous le Second Empire, le développement urbain y est rapide : «Ça s'est très vite construit», confirme Montillet. La forêt ne résiste pas mais laisse toute de même une trace : «De nombreux terrains mesurent 2 000 m², c'est l'héritage des parcelles forestières. Il est interdit de les scinder», ajoute l'historien.
Comment préserver les poumons verts qui ont échappé à l’urbanisation ? C’est d’autant plus difficile qu’ils subissent les assauts des Parisiens en manque de chlorophylle : «La forêt de Fontainebleau est foutue, entre chasseurs, piétons, voitures… et pourtant, nombreux sont ceux qui essaient de la protéger», se désole Blumenfeld. La protection de la nature se réduit donc à peau de chagrin, comme sur cet îlot que l’on aperçoit sur la gauche : «C’est l’île Corbière, décrit Montillet, une réserve ornithologique où personne ne peut aller», mais qui est tout de même traversée par les rails du RER. Alors, à tout prendre, pourquoi ne pas sacrifier ces quelques timbres-poste, et les paysages qui vont avec, pour densifier la ville et mieux préserver (peut-être) les espaces naturels qui bordent la métropole ? «Si vous voulez sacrifier le parc du château de Saint-Germain, allez-y, mais il n’y en a plus beaucoup !» grince Montillet. Hervé Blumenfeld, lui, compare la capitale à ses voisines européennes : «Paris est d’une densité bien plus forte que Berlin ou Londres !» Pour eux, pas de doute : le Grand Paris a besoin de parcs et de paysages, pour l’agrément des habitants, mais aussi pour donner de la cohérence, à travers quelques points de vue, à un Grand Paris qui semble parfois sens dessus dessous.