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Libération
Reportage

Saint-Ouen, Gennevilliers, vers la banlieue et au-delà

Aux abords de la mairie de Saint-Ouen (Seine-Saint-Denis), en novembre. (Photo Cyril Zannettacci)
publié le 26 décembre 2018 à 19h07
(mis à jour le 26 décembre 2018 à 19h24)

C'est comme Paris, les prix mirobolants de l'immobilier en moins. Cette analyse optimiste, souvent tenue par des bobos venus faire dans des communes encore populaires de juteuses plus-values, n'est pas sans fondement : la petite couronne est équipée en métros, elle a gagné des lignes de tram et elle accueille des bâtiments autrefois réservés à l'intra muros comme le siège de la région Ile-de-France, désormais installé à Saint-Ouen, en attendant l'arrivée du village olympique des JO 2024. A l'ombre de ce Grand Paris en train de se construire, on retrouve à Saint-Ouen et Gennevilliers les traces historiques d'une petite couronne au service de la capitale. Les cartes ont longtemps laissé un peu vide cette partie du territoire francilien, se contenant de localiser les hameaux. Une situation causée par le risque de crue de la Seine, qui serpente dans la zone : «C'est une plaine alluviale, explique Hervé Blumenfeld. Les terres sont inondables, donc riches, et on y trouve quelques grandes fermes près des rives.» A l'époque moderne, déjà, et jusqu'au XIXe siècle au moins, Paris se nourrit en circuit court. A Saint-Ouen, ex-village de vignerons, certaines rues desservant des maisons ouvrières ou de petits immeubles construits sur des terrains un peu étroits conservent la mémoire des découpages agricoles. «Il y avait des parcelles très petites, des venelles en terre sans égout ni eau potable», ajoute-t-il. Peu à peu, s'appuyant sur la Seine qui facilite les échanges de produits, l'industrialisation érige ces communes en symboles de la banlieue ouvrière, dans la continuité de Paris : certains axes sont ainsi percés pour que les usines des Batignolles soient reliées le plus directement possible au fleuve. L'identité ouvrière est encore visible par la présence d'usines en plein centre-ville, comme celle de PSA, qui cédera cependant la place en 2021 à des activités hospitalières. «Pourtant, l'industrialisation est un phénomène assez récent dans l'Ouest parisien - l'Est avait une ou deux générations d'avance. En 1850, il n'y avait pas d'usine à Saint-Ouen !» précise Philippe Montillet.

La banlieue sert aussi de réceptacle aux activités qui gênent la capitale. Hervé Blumenfeld explique : «Au début du XIXe siècle, l'interdiction des activités polluantes dans Paris les a repoussées à l'extérieur.» Les déchets de la capitale sont ainsi gérés à l'écart du centre : le Syctom, chargé de la gestion des déchets ménagers dans la métropole, possède un incinérateur toujours en activité, dont la cheminée est l'un des points culminants de Saint-Ouen. A Gennevilliers, le quartier des Grésillons tire son nom de l'entreposage des rebuts de charbon parisien, dont certains morceaux qui grésillaient encore étaient ramassés puis revendus.

Avec la désindustrialisation, les paysages changent vite : en longeant la Seine à Saint-Ouen, on voit que si certaines usines restent, d’autres ont laissé place à de grandes zones d’aménagement concerté (ZAC) avec leurs immeubles labellisés pour leurs qualités environnementales. En traversant la Seine, qui marquait autrefois la limite de la banlieue (le territoire administrativement placé dans l’orbite de Paris), on arrive à Gennevilliers où se succèdent friches, entrepôts, et ateliers. «C’est un paysage horizontal, décrit Montillet, car les ateliers nécessitent un éclairage naturel zénithal.» Ces bâtiments bas et souvent très étendus ont bénéficié lors de leur installation du «vide» laissé par les anciennes parcelles agricoles. Aujourd’hui, ces surfaces suscitent la convoitise des promoteurs, dont on aperçoit les publicités. «Mais le tissu industriel va en partie se maintenir, tout ne peut disparaître», parie Blumenfeld. Ne serait-ce que parce que certaines infrastructures lourdes sont là, comme le port de Gennevilliers et ses 400 hectares. L’avenir est en revanche à l’intégration des usines dans un environnement de bureaux et d’habitations. La densification donc, mais jusqu’à quel point ? Alors que la voiture longe le parc de l’Ile-Saint-Denis, où pelouses, arbres et équipements sportifs offrent des loisirs aux riverains, Montillet prévient : «Tout reste possible : on peut encore donner plus de place aux espaces verts, et ne pas confiner la Seine-Saint-Denis dans une histoire industrielle.» Il faudrait donc réinscrire ce lieu dans une histoire agricole et «naturelle» qui fut aussi la sienne.

Th.S.