Même le Routard 2018, resté un peu anar, n’a pas pris levirage : pour ses rédacteurs, « leSri Lanka dévoile dans les montagnes du centre des paysages parmi les plusbeaux de l’île » ! Pourtant, on n’y voit que la désolation seméepar les Anglais. Depuis qu’un certain James Taylor al’idée d’industrialiser la production de thé en 1867 à Loolecondera(-ලූල් කඳුර) à la suite d’une catastrophesanitaire et de la concurrence du Brésil conduisant à l’époque à la disparition desplantations de café. L’Ecossais n’y va pas de main morte. Des centaines de milliersd’hectares de forêt tropicale vont disparaître en quelques décennies. Aiguillonnépar l’autre larron du thé, Thomas Lipton, qui voit le thé comme un « or vert »,ce qui lui vaudra l’anoblissement par Victoria. Comme le thé se récolte toute l’année,l’affaire est bonne pour « Sir Tea ».
Derrière eux, à l’indépendance de Ceylan en 1948, lesBritish laissent une île dont l’environnement est saccagé : ne restent que5% du territoire en forêt dans un pays qui en comptait plus de 90% un siècleplus tôt. Des terres de monoculture où les intrants chimiques tiennent lieu defertilisants.
Aujourd'hui, le tourisme de l'île est bâti largementsur ces paysages de thé que les visiteurs photographient à la sortie d'usines oùon leur a consciencieusement appris en quoi consiste la cueillette. Pourquoi neleur dit-on pas que les cueilleuses touchent 2 euros par jour pour huit heuresde boulot ? Avant d'endormir le public dans les vapeurs d'une dégustation duBroken Orange Pekoe Fannings, on le saoûle avec des informations techniquessans grand intérêt (séchage, roulage, fermentation, déshydratation, triage, emballage).Pendant qu'un guide parle, ils prennent des photos de leur groupe, et sontenchantés de faire des affaires en payant leur sachet trois euros six sous.Puisque la plupart des thés sont des mélanges (blend), on fait comme à Bordeaux où l'on pratique l'assemblage deplusieurs cépages pour plaire à la clientèle, on invente des terroirs en indiquantles noms d'origine sur les emballages, on les classe comme des grands vinspourtant produits avec force pesticides et intrants chimiques.
La forêt analogue comme une solution
Que faire ? Les Sri Lankais se sont réveillés avecla gueule de bois. L'un des protagonistes du mouvement environnemental est RanilSenanayake, herpétologiste (spécialiste des rampants) et docteur en écologiedes systèmes, dans les années 1980. Il inventeune méthode de reforestation respectant les interactions entre les espèces. Maissurtout, elle permet aux fermiers et habitants de contrées reculées de subvenirà leurs besoins. Cette méthode s'appelle la « foresterie analogue »et commence à se diffuser dans le monde tropical depuis les années 1990. Ilrachète une ancienne plantation de thé à Belipola et planifie un système s'inspirantdes puranagama, des vieux villagestraditionnels sri-lankais.
Une forêt analogue, reconstituée sur les conseils de Ranil Senanayake
Analyser la composition dusol en rapport avec l'altitude, parcelle par parcelle, noter la végétation dela forêt primaire dans le même contexte, voir quelle est la fonction écologiquedu lieu. Il faut replanter les espèces selon un cahier des charges « naturel »d'où le terme « analogue ». On commence par les arbres qui donnent lacanopée et son ombrage nécessaire aux autres strates de la forêt (arbustes, grimpanteset herbacées). Réapparaissent alors les reptiles, oiseaux et amphibiens dès lacinquième année. « Doucement, la forêt mûrit,nous explique Ranil. Neuf à dix ans plus tard, vous voyez des espèces quevous n'aviez jamais observées sur place auparavant. La nature commence àprendre le dessus, il ne reste plus qu'à l'aider, en la comprenant. »
A Ecolanka, en se promenant sur les bords de la vallée de Halpola, on voit bien les deux milieux : au fond, une rizière (et en hautles vestiges d'une plantation de thé) et sur l'autre versant, la forêt analogue, reconstituée par Wickramarathne (photo ci-dessous), 75ans, la mémoire botanique du village qui travaille pour Guayapilanka.
En attendant, les anciens pays colonisés ne vont-ils pas être tentés de présenter la facture environnementale aux pays riches, comme ils essaient de récupérer leurs oeuvres d’art pillées ? Les lendemains vont chanter....
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Pour en savoir plus : le centre de Belipola
Un site très riche : Earth Restoration