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Cubisme à Pompidou : où est donc passé André Lhote ?

Au centre Pompidou à Paris, une exposition revient sur le cubisme. Au milieu des œuvres de Picasso, de Braque ainsi que celles de toute une génération d’artistes influencée par ce mouvement, l'absence du peintre bordelais interroge.
par Françoise Garcia, Historienne de l’art Conservateur honoraire du patrimoine au musée des beaux-arts de Bordeaux
publié le 9 janvier 2019 à 10h55

Tribune. L'absence d'œuvres d'André Lhote dans l'exposition parisienne «le Cubisme», apparaît comme incompréhensible. L'artiste n'a cessé sa vie durant de défendre ce mouvement, se faisant un devoir de le rendre accessible à un large public, tant dans la conception de son œuvre peinte que dans ses écrits. Car si telle était sa double ambition – peindre et théoriser sur sa peinture –, c'est le reproche majeur qui lui fut opposé. Rétrospectivement, avec l'éclairage des pratiques artistiques de la fin des années 60, ne peut-on transformer son infortune en fortune critique ? Ne peut-on pas comprendre son œuvre dans sa singularité même, «produisant tout ensemble son ouvrage et l'explication de son ouvrage», comme le relevait Jean Cassou en 1967 ? Lhote mit à l'épreuve sa peinture, «déconstruisant» les processus de sa création, retrouvant l'artisan au cœur même de l'œuvre.

Absence d'autant plus incompréhensible que le choix des commissaires de l'exposition, comme le souligne Bernard Blistène, directeur du musée national d'Art moderne, dans sa préface, est «de mettre en évidence, outre les similitudes, la singularité des pratiques et des propositions de chacun». Et poursuivant : «D'emblée, […] on saisit qu'il n'existe pas un cubisme mais des cubismes, non pas une voie tracée mais de nombreux "chemins qui bifurquent".»

Dans son introduction, Brigitte Léal, l'une des commissaires de l'exposition, précise : «Il s'agit d'un panorama chronologique du mouvement axé sur son déroulement à Paris entre 1907 et 1917 qui, sans renier le caractère pionnier et expérimental du projet porté par Braque et Picasso, est ouvert à l'histoire des cubismes "des salons", pour traduire la diversité et faciliter une compréhension complète et impartiale.»

Or Lhote ne fait-il pas partie de ces cubistes «des salons» et n'en traduit-il pas l'une des tendances relevées par Guillaume Apollinaire, celle qu'il nomme le «cubisme physique» qui, partant de la réalité de la vision, «ressortit cependant au cubisme par une discipline constructive» ?

Que reproche-t-on à André Lhote ? Sa liberté ? Il reste ouvert à toutes ressources artistiques, éliminant le détail au profit de l'architecture de l'œuvre, des Egyptiens aux Gothiques, de Poussin, David, Ingres à Cézanne. Son académisme ? Il abhorre le «poncif de l'Ecole». Son classicisme ? Il revendique la discipline, la maîtrise, les «pures joies de l'esprit». Sa sensualité ? Il est sensuel «épouvantablement». Sa préoccupation du public ? Oui, il a le souci du «grand enfant», il ne veut pas le laisser en chemin. Son nationalisme ? Il enseigne à des élèves de toutes nationalités. Il parle d'art français, d'école espagnole, italienne. Son goût de la terre ? Il célèbre la promenade, les balades. Parcourant la Drôme et l'Ardèche, il établit l'inventaire des demeures anciennes, ressuscite des villages entiers, entouré d'amis artistes (Chagall entre autres) et de ses élèves. C'était en 1943. La modernité ? Il l'a affrontée, «car toute la question, au fond, se ramène aux traces de la lutte que, pareil à Jacob aux prises avec l'ange, le peintre abstrait soutient contre les apparences.» Quoi encore ? D'exister ! Girondin de la Gironde, il se fait avocat de la défense.

Des œuvres comme Bacchante, (musée des Beaux-Arts de Bordeaux) présentée au Salon des indépendants de 1912, Escale, à celui de 1913, (musée d'Art moderne de la Ville de Paris), pour laquelle Jacques Rivière écrit qu'elle est «une des meilleures réussites de l'artiste dans cette recherche de l'architecture intégrale du tableau», ou encore Rugby de 1917 (musée national d'Art moderne, centre Pompidou), auraient pu accompagner cette noble figure d'artiste et de critique à laquelle André Chastel rendait hommage dans le Monde le jour de son décès, le 24 janvier 1962.