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TRIBUNE

De Balkany à Benalla, les présidents passent, les intermédiaires restent

Affaire Benalladossier
La révélation à Noël, d’un voyage de l’ancien garde du corps d’Emmanuel Macron au Tchad, début décembre, quelques jours seulement avant une visite présidentielle, montre que les chefs d’Etat africains n'entendent pas renoncer aux intermédiaires qui fleurent bon la Françafrique.
Emmanuel Macron et Alexandre Benalla, à Paris le 20 juin 2017. (Photo Benjamin Cremel. AFP)
publié le 10 janvier 2019 à 17h06
(mis à jour le 10 janvier 2019 à 18h10)

Tribune. Le président tchadien, Idriss Déby, au pouvoir à N'Djamena depuis 1990, n'en est pas à son premier intermédiaire proche de l'Elysée, loin s'en faut. Sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy (2007-2012), l'un des amis intimes du président français, Patrick Balkany, avait ses entrées au palais à N'Djamena. Et il s'entendait si bien avec les Tchadiens que sa commune de Levallois-Perret (Hauts-de-Seine) signa même un lucratif contrat de près de 6 millions d'euros, en août 2008, pour remettre à neuf l'ambassade du Tchad à Paris. Pour patienter, l'édile de Levallois mit des bureaux de sa mairie à disposition des diplomates tchadiens. Dans ces années-là, on put aussi apercevoir Balkany un peu plus au sud, en République centrafricaine, où son nom apparaît dans l'affaire d'Uramin, du nom de cette entreprise canadienne qui vendit à Areva ses exploitations minières sur le continent africain à un prix exorbitant (vente sur laquelle la justice française enquête).

Sur les bords de Seine, les présidents passent, mais sur le continent africain, les intermédiaires restent. Leur maître incontesté, à ce jour, demeure Robert Bourgi. Cet avocat, qui se présente abusivement comme l'héritier de Jacques Foccart, l'ex-«Monsieur Afrique» de De Gaulle, a surtout fait le go-between, dans les années 2000 entre plusieurs dirigeants de l'ex-pré carré français en Afrique, à commencer par le Gabon d'Omar Bongo, et l'Elysée. Son rôle ? Outre celui de porteur de valises de billets, qu'il a publiquement assumé dans un entretien retentissant, en 2011, publié dans le Journal du dimanche, «Bob» (son surnom) était le dépositaire de messages oraux qualifiés de «confidentiels», de ceux qui ne laissent pas de trace, qu'on ne pourra jamais archiver au Quai d'Orsay, et qui s'échangent de président à président. D'homme à homme, devrait-on dire.

Certains chefs d'Etats africains en sont friands. Car ils veulent pouvoir accéder au «patron» de l'Elysée sans passer par les circuits officiels, où les procédures sont codifiées à l'extrême, à leurs yeux, et où le secret s'évente plus vite qu'il ne faut pour le formuler. «Secret de deux, secret de dieu ; secret de trois, secret de tous», dit le proverbe.

Ces messagers sont d'autant plus précieux que les liens se distendent peu à peu entre le France et certaines de ses anciennes colonies. Aux prises avec l'affaire dite «des biens mal acquis», le Congolais Denis Sassou N'Guesso en sait quelque chose. Reçu chaleureusement à Paris sous Jacques Chirac, il fut au départ tenu à distance par Nicolas Sarkozy, et snobé par François Hollande. S'il parvient à chaque changement à l'Elysée à se rendre indispensable, en étant toujours prêt à rendre service (dans la crise centrafricaine, notamment), le président du «Congo-Brazza» cherche en permanence à préserver un contact direct avec l'Elysée, via ces intermédiaires divers et variés.

Cette préoccupation explique peut-être pourquoi il a accueilli, il y a quelques semaines, dans son fief d'Oyo (sa ville natale) Alexandre Benalla, l'ex-chargé de mission auprès d'Emmanuel Macron. Tout comme Idriss Déby, qui a reçu le désormais consultant Benalla en son palais, début décembre, comme l'a révélé la Lettre du continent. On peut y voir une forme de crédulité : Benalla n'occupait pas une place centrale au sein de l'Elysée de Macron. Mais, avant sa chute brutale, n'apparaissait-il pas toujours au côté du président français sur les photos ? Les dirigeants africains ont bien noté que Macron n'avait jamais publiquement désavoué son ex-garde du corps. Mieux, il a récemment appelé à «l'indulgence» vis-à-vis de lui et, comme l'ont révélé Mediapart et le Canard enchaîné, échangé des messages personnels avec lui. De là à penser que les deux hommes sont restés très liés, voire que Benalla a toujours l'oreille du Président…

Enfin, les dirigeants de «l'ancien monde» françafricain, celui dont chaque président nouvellement élu à l'Elysée annonce la fin, mais qui ne veut pas mourir, savent d'expérience qu'il vaut mieux ménager le «grand frère» français. On ne sait jamais avec lui. Un jour, il reçoit en grande pompe le colonel Kadhafi, et, quelques années plus tard, il le bombarde (Sarkozy). Un jour, il dit qu'il n'interviendra jamais au sol au Mali contre les jihadistes, et, du jour au lendemain, il lance ses troupes à l'assaut des «groupes terroristes» (Hollande). Et que faut-il penser du sort réservé à l'Ivoirien Laurent Gbagbo qui avait osé défier l'ex-puissance coloniale, sous Chirac, et qui sortit de son palais d'Abidjan sous une pluie de bombes de l'armée française (sous Sarkozy), avant d'être remis à la Cour pénale internationale à La Haye par le nouveau pouvoir d'Alassane Ouattara, grand ami de l'ex- maire de Neuilly…

Début décembre, Benalla a été reçu à N’Djamena par un homme, Idriss Déby, qui sait le rôle clé joué par la DGSE dans son arrivée au pouvoir, en 1990, à la tête du Tchad en lieu et place de Hissène Habré, jugé alors trop proche des Américains. Finalement, si la «République des intermédiaires» résiste et persiste, c’est sans doute qu’on ne prête qu’aux riches. En Afrique, comme ailleurs.

 Auteur avec Antoine Glaser de : Nos chers espions en Afrique (Fayard).