Si les glaciers pensaient et qu'on pouvait les comprendre, qu'est-ce qu'ils nous diraient ? Un couple d'anthropologues américains de l'université de Rice au Texas a tenté de donner vie à cette réalité alternative dans un court-métrage appelé Not Ok. Ok, ou Okjökull pour les puristes, est le nom atypique d'un glacier de l'ouest de l'Islande. Ou plutôt, d'un reste de glacier. Il y a un siècle, il couvrait 15 kilomètres carrés sur 50 mètres d'épaisseur. Actuellement, il n'en reste qu'un cercle d'un kilomètre carré sur 15 mètres de hauteur. Cymene Howe et Dominic Boyer ont voulu dépasser les faits scientifiques et interroger ce que perdre leurs glaciers signifie pour les Islandais. D'une même voix, ils répondent à Libération.
Comment avez-vous découvert le glacier Ok ?
Nous avons connu Ok par accident. La montagne sur laquelle il se trouve est proche d'une vallée où de bons amis possèdent une maison d'été. Quand nous avons commencé à nous intéresser à l'histoire de la montagne, nous sommes tombés sur un petit article selon lequel un glaciologue islandais a récemment annoncé la disparition d'Ok à cause du réchauffement climatique. C'est le premier des plus de 400 glaciers de l'île à avoir entièrement fondu. Mais ce ne sera pas la dernière victime du changement climatique. Certains glaciologues estiment qu'ils auront tous disparu d'ici 2200. Peut-être même avant. Même si le glacier Ok était petit, nous nous sommes dit qu'il symbolisait une plus grande histoire, qu'il fallait capturer dans un film.
Pensez-vous que les Islandais ont un plus fort attachement aux glaciers que d’autres populations ?
Ils ont joué un rôle énorme dans l’histoire de l’Islande. Le pays est connu comme la «terre du feu et de la glace», du fait de sa combinaison unique au monde entre la masse glaciaire (11 % de la surface de l’île) et de nombreux volcans actifs. Pendant la majorité de l’histoire de l’Islande, les montagnes étaient considérées comme des lieux dangereux, à éviter. Les Islandais les plus âgés, à qui nous avons parlé et qui vivent à côté de glaciers, les décrivent surtout comme des menaces. Ils les respectent mais gardent leurs distances. Cela ne fait que quelques décennies que les habitants voient les glaciers comme des espaces de loisirs. Aujourd’hui, les Islandais les considèrent de plus en plus comme des entités vulnérables qui ont besoin de l’attention humaine si on veut garantir leur existence sur Terre pour les siècles à venir.
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Quels résultats attendiez-vous de votre étude anthropologique de l’héritage du glacier ?
La partie anthropologique de nos travaux était concentrée sur la relation des hommes avec les bouleversements de leur cryosphère [ensemble des glaces du globe terrestre, ndlr]. Il apparaît qu'en Islande, les habitants sont très inquiets des rapides changements de leur environnement. Mais ils reconnaissent aussi notre dépendance aux énergies fossiles et se demandent si les hommes arriveront à changer leurs comportements à temps pour sauver les glaciers. Avec Not Ok, nous avons voulu parler de changement climatique, non pas de manière spectaculaire et apocalyptique, mais de façon plus modeste, en se concentrant sur les relations émotionnelles que les humains peuvent avoir avec des montagnes et des glaciers.
Not Ok sera projeté le 24 janvier au festival «A l'école de l'anthropocène», avant une rencontre avec ses auteurs en partenariat avec Libération.