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Libération
Environnement / Festival "A l'école de l'anthropocène"

Oslo, labo urbain du zéro carbone

A l'ère de l'anthropocènedossier
Dans la capitale verte européenne 2019, se multiplient les initiatives visant à réduire les émissions de gaz à effet de serre. Une gageure dans un pays dont la fortune s’est faite grâce aux hydrocarbures.
Dans le fjord d'Oslo en Norvège. (Photo Mara Ohlsson. Plainpicture)
publié le 20 janvier 2019 à 17h06
(mis à jour le 21 janvier 2019 à 16h47)

Dans le quartier populaire de Grünerløkka, dans l’est d’Oslo, des réfugiés font pousser des salades dans d’anciennes laveries automatiques. Plus à l’ouest, au cœur de la ville, la ferme urbaine Losæter réunit plus d’une centaine d’apprentis agriculteurs venus labourer leurs parcelles, dispersées autour des cheminées d’aération d’un tunnel autoroutier.

Ces initiatives sont encouragées par la municipalité d'Oslo, élue capitale verte européenne 2019 par la Commission européenne, qui remet cette distinction tous les ans depuis 2010. Les projets d'agriculture urbaine sont accompagnés, entre autres, de la réouverture partielle de 354 kilomètres de rivières et de ruisseaux, recouverts jusqu'à la fin des années 90, afin d'obéir à une logique d'urbanisation vorace. Un moyen de rendre la ville à ses habitants, mais surtout de s'adapter au changement climatique en permettant l'écoulement et l'absorption des pluies, de plus en plus drues et fréquentes. A l'heure de l'anthropocène, les ambitions d'Oslo font réfléchir à la capacité des villes à s'adapter aux changements que notre planète subit, et à en limiter les effets, dans le contexte écrasant d'une nouvelle ère géologique. «Nous avons construit des villes hors de toute échelle humaine, commente Henrik Ny, professeur suédois en développement durable. Aujourd'hui, nous pouvons faire le choix de prendre à nouveau en compte le comportement humain dans le développement des villes.»

«Budget climat»

La coalition entre la gauche et les écologistes qui a gagné la mairie d'Oslo en 2015 prévoit de diviser par deux les émissions de gaz à effet de serre d'ici 2020, et de les réduire de 95 % d'ici 2030. «Le projet le plus ambitieux au monde, à ma connaissance», commente Mark Watts, directeur du C40, un réseau de 96 villes qui vise à lutter contre le dérèglement climatique.

Le modèle d'Oslo peut cependant sembler difficile à répliquer, tant les atouts de la ville sont nombreux. 99 % de la production d'électricité en Norvège est d'origine hydraulique, grâce au développement de cette méthode dès la fin du XIXe siècle. Surtout, la découverte des gisements de pétrole et de gaz en mer du Nord à la fin des années 60 a donné au pays les moyens économiques d'agir : «Nous sommes devenus formidablement prospères grâce au pétrole et au gaz, notre responsabilité morale en est d'autant plus grande», assène le maire travailliste d'Oslo, Raymond Johansen.

«Je pense que la volonté politique du maire est tout à fait transférable à d'autres villes», assure pourtant Mark Watts. Il souligne la mise en place d'un «budget climat», une première mondiale qui oblige les quinze districts de la ville à rendre trois fois par an des comptes sur leurs émissions de CO2. «Nous comptabilisons ces émissions de la même manière que les dépenses financières, explique Raymond Johansen. Cela nous permet de prendre des décisions politiques concrètes, plutôt que d'imposer de vagues objectifs lointains.»

Dans le quartier de Tjuvholmen, à Oslo, en 2016. Photo Gordon Welters. Laif-REA

Parmi ces mesures, la démocratisation des voitures électriques qui, grâce à une combinaison de politiques municipales et nationales, ne sont soumises ni à la TVA, ni aux péages. A Oslo, elles circulent sur les voies de bus et profitent de quelques stations de recharge gratuites. Résultat : en 2017, 52 % des nouveaux véhicules achetés en Norvège étaient électriques ou hybrides, contre 3,9 % en France. «Le gouvernement facilite leur achat, nous facilitons leur utilisation», explique Hanna Marcussen, adjointe municipale écologiste chargée de l'urbanisation. Alors que la coalition de droite du gouvernement national s'apprête à construire une nouvelle autoroute qui traversera le pays, cette collaboration ville-Etat illustre le paradoxe norvégien. «La coopération avec le gouvernement est une épreuve», résume-t-elle.

D'autres mesures, comme la piétonisation du centre-ville et surtout la hausse des péages pour les voitures à essence ou diesel, sont moins bien accueillies. «Je veux bien sauver la planète, mais sans exclure une partie de la population», soutient Cecilie Lyngby, fondatrice du groupe Facebook «Oui à l'environnement, non à la hausse des péages !», qui rassemble 50 000 personnes et dénonce des prix prohibitifs pour ceux qui ne peuvent pas acheter une voiture électrique. «J'aimerais bien faire comme les gilets jaunes, mais je n'ose pas», ajoute-t-elle. L'adjointe au maire Hanna Marcussen justifie la stratégie de la ville : «Nous créons une demande, ce qui va contribuer à diminuer le prix des voitures électriques.»

Tige dénudée

La logique est la même avec les projets d'urbanisme, dont environ 90 % sont menés par le secteur privé. «Les promoteurs ne vont pas investir dans les quartiers où les prix au mètre carré sont trop bas, c'est le danger d'un système de plus en plus privatisé», souligne Per Gunnar Røe, professeur de géographie humaine à Oslo. En 2017, la ville a donc mise en place un critère, inédit dans le monde, de «zéro émission» pour les chantiers de construction municipaux (1). Une mesure «très vite devenue le standard», assure Hanna Marcussen : «Cela a entraîné un changement de mentalité, et maintenant de nombreux promoteurs privés veulent appliquer ce critère.» Convaincre les entreprises privées, mais aussi l'ensemble des citoyens, est déterminant pour la municipalité d'Oslo, qui contrôle seulement 4 % des émissions de la ville. «C'est tout l'enjeu de cette année, réussir à inspirer tous les acteurs», explique Anita Lindahl Trosdahl, responsable du projet Capitale verte européenne 2019.

Bjørn Smevold, gardien de sécurité reconverti en botaniste, roule au diesel. Il s'en excuse : «Je veux une voiture électrique, mais pour l'instant je n'ai pas les moyens.» Lorsqu'il arrive en haut de la colline d'Ekeberg qui surplombe le fjord d'Oslo, il attrape avec délicatesse une «potentille des rochers» entre ses mains immenses. Il a reconnu cette plante rare bien que sa tige dénudée dépasse à peine d'une épaisse couche de neige. Etrange vision que cet homme derrière lequel s'étend la péninsule de Sjursøya, où le port d'Oslo reçoit 40 % du pétrole consommé par les Norvégiens. On y verrait presque l'allégorie de cette ville, à la fois vitrine des politiques climatiques les plus novatrices, et capitale d'un des trois plus gros exportateurs de pétrole au monde.

(1) Par exemple, les engins et véhicules de chantier doivent désormais fonctionner grâce à des énergies non fossiles, comme l'électricité et le biocarburant.

Anthropocène : L’humanité aux commandes d’une ère géologique

Les chercheurs utilisent le mot «anthropocène» pour désigner une nouvelle ère géologique où les activités humaines modifient en profondeur les cycles chimiques et biologiques de la planète, entraînant une augmentation de l’effet de serre, l’acidification des océans, la disparition des animaux et des végétaux… Ces évolutions globales changent nos conditions de vie, et nécessitent de réfléchir collectivement aux meilleures solutions possibles pour s’y adapter.

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