Grand Dieu, faites que la chronique éco de cette semaine ne parle pas d’impôts ! Quel service public les Français sont-ils prêts à réduire pour payer moins d’impôts… Où sont les marges de manœuvre ? Vous en avez assez… Très bien, je vais vous parler d’exportations… mais je dois vous prévenir tout de suite : je ne pourrai pas échapper à la question fiscale. L’impôt est partout ma bonne dame ! La compétitivité des exportations françaises n’échappe pas à ce principe : elle dépend en partie de la fiscalité sur les entreprises. La question est de combien ? Il est important d’avoir les idées claires sur le sujet, au cas où on nous explique qu’il faut toucher à l’impôt de production pour rétablir le commerce extérieur français et créer des emplois… Voici quelques chiffres. La France est dans le rouge, alors que l’Allemagne cumule des excédents depuis 2001. Face à la Chine et autres pays émergents, la France a perdu 40 % de parts de marché dans les exportations mondiales de biens et services, l’Allemagne en a perdu quatre fois moins sur la même période. Pourquoi ? C’est une question qui occupe beaucoup les économistes et politiques. Les Allemands ont baissé les coûts du travail : sur place en réformant leur marché du travail sous le chancelier Schröder mais aussi les coûts importés en profitant des bas salaires de leurs voisins d’Europe de l’Est. Mais il n’y a pas que les sous dans la vie ! Ils ont aussi été forts sur la compétitivité «hors prix» : la fameuse qualité allemande leur a permis de se maintenir dans la concurrence internationale, mieux que nous. Or tout cela aurait dû changer à partir de 2011. En effet, à partir de cette date, le coût du travail allemand augmente plus vite qu’en France qui est en pleine modération. Toute chose égale par ailleurs, on aurait donc dû le voir : les exportations allemandes auraient dû être moins dynamiques que les exportations françaises. C’est le contraire que l’on observe avec des exportations allemandes qui augmentent toujours plus vite que les françaises. La mauvaise récolte céréalière de l’été 2016 et les attentats, en 2015 et 2016, ne permettent pas de l’expliquer. Alors quoi ? Est-ce un problème de demande sur les marchés étrangers servis par les entreprises françaises ? Non. Tous les marchés ont ralenti, ceux de l’Allemagne et les français au même niveau. Alors quoi ? Cela se passe en grande partie dans un secteur : l’automobile à elle seule explique plus du tiers de l’écart entre les balances commerciales allemandes et françaises ! Vend-on moins de voitures françaises ? Pas si simple… En fait, on les vend de l’étranger. Les grands producteurs français ont largement délocalisé leurs activités d’assemblage à l’étranger, dans des pays voisins leur permettant de bénéficier de coûts du travail plus faibles que sur le territoire national. Beaucoup plus que les producteurs allemands. La part de la production des marques françaises dans des pays à plus bas revenus, destinée à servir le marché domestique, est ainsi passée de moins de 10 % au début des années 2000 à près de 50 % en 2016. Or, ce qu’on observe dans le secteur automobile est valable dans d’autres secteurs exportateurs français. Le nombre d’employés et le chiffre d’affaires à l’étranger des multinationales françaises a augmenté de près de 60 % entre 2007 et 2014, soit à un rythme deux fois supérieur à celui des multinationales allemandes. Pourquoi donc les multinationales françaises ont-elles modifié leur chaîne de valeur relativement aux allemandes ? C’est une question importante qui n’a pas encore de réponse claire à ma connaissance. Coûts du travail ? Pas si clair vu la baisse relative des coûts unitaires du travail en France depuis quelques années. La faute à l’impôt ? On entend que les impôts de production sont trop élevés en France, pesant sur les exportateurs et leurs prestataires. Mais si ça n’était pas ça ou pas tout ? Une autre possibilité est que les exportateurs français ont davantage délocalisé car leur financement dépend davantage des marchés financiers. Comprimer les coûts pour augmenter leurs marges et le prix des actions dont dépend leur financement. Chaque réponse amène une mesure différente de politique économique. Chacune affecte le pacte social de façon différente. C’est pourquoi on a besoin d’examiner les données avec attention et ne pas se tromper sur le diagnostic. Parce que les conséquences politiques en termes de redistribution sont lourdes… (1)
(1) Les chiffres sont issus de travaux menés en grande partie au Centre (public français) d'études prospectives et d'informations internationales (Cepii).
Cette chronique est assurée en alternance par Anne-Laure Delatte, Ioana Marinescu, Bruno Amable et Pierre-Yves Geoffard.