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Tribune

Dépasser le référendum d’initiative citoyenne

La politique ne doit plus être un débat entre élites qui échappe au peuple. Plutôt que de se focaliser sur le référendum, il faut construire une démocratie délibérative où des assemblées citoyennes offriront le temps de réflexion nécessaire à des élus et citoyens tirés au sort.
Aux Invalides, à Paris, le 19 janvier 2019. (Photo Boris Allin pour Libération)
par Gilles Pargneaux, député européen et Nicolas Levrat, professeur à la Faculté de droit de l'Université de Genève
publié le 11 février 2019 à 6h20

Tribune. Faut-il revenir aux temps bénis de l'Athènes antique et de la démocratie directe ? C'est la question que posent, avec beaucoup d'insistance, de nombreux gilets jaunes qui ont fait du référendum d'initiative citoyenne la panacée de l'ère de défiance démocratique. Démocratie représentative – territoire d'élus supposés de moins en moins enclins à défendre l'intérêt général – contre démocratie directe – où un peuple, souvent fantasmé, pourrait faire valoir sa voix par-delà les options partisanes. Telle est l'opposition binaire à laquelle nous enjoint de répondre ce débat.

La pratique du référendum n'est pas une nouveauté. Pourtant, force est de constater que son utilisation à l'heure des réseaux sociaux et, surtout, à l'heure de la défiance généralisée à l'égard des institutions publiques, n'a pas été sans accrochages, voire sans des échecs dramatiques. La France a une histoire compliquée avec le référendum. Synonyme d'abus du pouvoir sous Napoléon III, essentiel aux débuts de la VRépublique mais aussi cause de la démission du général de Gaulle en 1969, symbole de la fracture du pays et de l'impasse européenne avec le traité constitutionnel européen (TCE) en 2005. C'est aussi vrai en dehors de nos frontières. Le Royaume-Uni en sait quelque chose, englué dans une négociation du Brexit que les Européens estiment terminée et que les backbenchers et la majorité des députés britanniques considèrent inacceptable, le pays subit une crise politique inédite.

S'ajoute désormais le poids immense pris par les réseaux sociaux. La profusion des fake news ainsi que l'influence de certains pays étrangers minent toujours plus la légitimité des institutions publiques et des élus. Il n'est pas rare sur les groupes Facebook des gilets jaunes de voir des vidéos atteignant facilement 300 000 à 400 000 vues, soit autant que les ventes des principaux quotidiens nationaux français. Sans préjuger du message de ces vidéos, il est incontestable que leur capacité de mobilisation est énorme. N'oublions pas la phrase de Guy Carcassonne, «Tout sujet du 20 heures est virtuellement une loi», qui peut être revisitée de la sorte : toute vidéo de 300 000 vues est virtuellement, sinon une loi, du moins une vérité.

Du succès des référendums

Tous les référendums sont-ils dès lors condamnés à être hystérisés, manipulables ou incapables de répondre à la question posée ? Évidemment non. Des exemples de réussite existent en Irlande, au Canada ou en Islande. Dans ces pays, des référendums sur des sujets aussi sensibles que l’avortement, le mariage homosexuel, la loi électorale ou même la Constitution ont été des succès.

Comment ont-ils réussi le tour de force d’éviter un débat frénétique qui apparaît comme la fatalité de notre temps ? La clé réside en réalité non pas dans la question, mais dans le processus. Prenons un exemple : entre 2012 et 2014, l’Irlande a réuni une assemblée citoyenne pour réformer sa Constitution et en particulier le mariage homosexuel. Celle-ci incluait 66 citoyens tirés au sort et 33 parlementaires. L’assemblée a consulté experts, lobbys, prêtres catholiques et organisations homosexuelles pendant deux années. À l’issue de ce long processus, l’assemblée citoyenne a préconisé à 79 % d’autoriser le mariage homosexuel, ce que le gouvernement a été tenu de soumettre aux voix de l’ensemble des Irlandais. Au final, la modification de la Constitution a été adoptée à 62 %. Sans violence, ni manifestation.

Pour une démocratie délibérative en France

La démocratie directe a donc, paradoxalement, besoin de temps. Elle doit se faire délibérative pour que les citoyens puissent s'approprier, trier, ordonner idées, revendications et leur mise en œuvre. Il faut en finir avec l'idée que les foules sont incapables de raisonnement logique, comme nous y invitaient les psychologues sociaux du XIXe siècle tels Gustave Le Bon ; des exemples concrets montrent que, mis dans une assemblée délibérative aux côtés d'élus, des citoyens tirés au sort proposent des décisions progressistes et modérées.

De telles assemblées citoyennes devraient pouvoir voir le jour en France. De façon ponctuelle et sur des sujets précis, elles réuniraient deux tiers de citoyens tirés au sort et un tiers de parlementaires pour une période d’un à deux ans. L’assemblée citoyenne serait accompagnée par des fonctionnaires pour permettre aux citoyens de réaliser auditions, rapports et recommandations. Cette cohabitation entre élus et citoyens apporterait une réponse à la défiance des citoyens envers les élus, mais aussi des élus envers les citoyens, qui s’est installée depuis bien longtemps dans notre pays. Imaginons de telles assemblées citoyennes travailler sur la fiscalité écologique, l’utilisation des pesticides ou sur la PMA afin de comprendre la pertinence de ce mécanisme pour réconcilier la société française.

L’enjeu aujourd’hui est d’apporter des réponses tangibles à la fatigue démocratique française. Autant que l’efficacité des actions politiques, qui fait également défaut et qu’il convient de traiter, c’est la légitimité de l’action publique qui est en ce moment mise en cause. La demande des gilets jaunes vise autant le processus démocratique que des réponses concrètes à des questions précises. Dans une démocratie participative ou directe, le résultat dépend autant de la question que du processus de formation de l’opinion. Les annonces sans participation des citoyens ne suffiront plus. Un processus de démocratie participative sans résultats ne suffira pas non plus. Cette proposition souhaite apporter une partie de la réponse. Avec elle, nous souhaitons que la politique ne soit plus un débat entre élites qui concerne le peuple par ricochet.