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Libération
Chronique «Politiques»

Pour un référendum en 2019

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Face à l’immense insatisfaction sociale, la solution la mieux adaptée semble celle d’organiser une consultation à questions multiples, dès le mois de juin, après les élections européennes.
publié le 13 février 2019 à 19h26

De la période très particulière dans laquelle la France s’est engagée depuis trois mois - à vrai dire, un type de conflit sans précédent sous cette forme -, on peut déjà tirer deux conclusions évidentes : l’ampleur de l’insatisfaction sociale, de la demande sociale, le sentiment que le fameux modèle français, même s’il est plus protecteur que ses homologues, ne parvient plus à remplir son rôle. Ce qui sur ce point apparaît très révélateur, ce n’est d’ailleurs pas tant la persistance des manifestations des gilets jaunes que la confirmation de la sympathie des Français pour le mouvement. La violence choque et irrite mais les revendications et les frustrations des gilets jaunes demeurent largement partagées par la population. En ce sens, la crise sociale, la fatigue, la sclérose, voire l’épuisement du modèle social français issu de la Libération n’ont jamais été aussi perceptibles. Et puis, c’est l’autre conclusion manifeste, le besoin d’expression, l’envie d’interpellation, la voix retrouvée des Français qui, d’abord en soutenant les gilets jaunes, puis en participant au «grand débat» lancé par Emmanuel Macron, veulent prendre la parole, questionner, entendre des réponses mais aussi proposer, suggérer, faire campagne, marquer leurs exigences et leurs priorités. Cette double originalité, cette double spécificité - protester et dialoguer - exige, impose même une réponse substantielle, solennelle, franche, bref, proportionnée à l’ampleur des demandes. Pour cela, un référendum à questions multiples organisé en juin prochain, quelques semaines après les élections européennes, apparaît comme la solution la mieux adaptée.

La mobilisation déclinante mais persistante des gilets jaunes, l’omniprésence d’Emmanuel Macron, la prise de parole spectaculaire des Français (plus de 800 000 contributions, des milliers de débats sur tout le territoire) ne peuvent pas se satisfaire des recettes banales. Remanier le gouvernement, changer de Premier ministre serait complètement inadapté. Ce n’est pas Edouard Philippe qui est en cause, ce n’est pas sa politique qui est contestée mais, bien au-delà, une frustration sociale qui remonte à loin (au moins deux décennies), qui s’est en quelque sorte sédimentée au fil des alternances pour éclater sous le quinquennat d’Emmanuel Macron, perçu comme une réponse élitiste à une demande égalitariste. Remplacer Edouard Philippe ne serait donc en rien une réplique. Quant à une dissolution de l’Assemblée nationale, ce serait à la fois un paradoxe, une impasse ou une frustration. Un paradoxe, puisqu’il y a demande de démocratie directe et mise en cause de la démocratie représentative : une dissolution serait une réponse parlementaire à un mouvement antiparlementaire ; une impasse puisque le report des forces actuelles - polarisation macroniste contre lepéniste - pourrait déboucher sur une majorité introuvable ou bloquée ; une frustration, si la réponse à la houle sociale était une simple victoire politique de La République en marche face au repoussoir Le Pen-Dupont-Aignan.

En revanche, un référendum correspondrait à la demande de participation directe des Français et théâtraliserait la réponse présidentielle. Elle serait proportionnelle à l’importance du conflit et clôturerait logiquement le grand débat. Un discours, même solennel, même devant le Congrès réuni à Versailles ne remplirait évidemment pas cette fonction. Les Français seraient spectateurs et non acteurs, auditeurs et non décideurs. Naturellement, ce référendum ne pourrait pas comporter une seule question, qui serait grossièrement réductrice et renverrait inévitablement à un texte composite. Ce serait demander une réponse unique à des questions multiples. Absurde ou manipulateur. Un référendum à questions multiples étendrait en revanche les pouvoirs des citoyens. Il ne saurait évidemment pas se cantonner aux seuls problèmes institutionnels, certes, très présents dans le débat mais n’apportant pas de réponse à la question sociale et fiscale. S’il était organisé le même jour que les élections européennes - c’est techniquement possible -, il cannibaliserait la question européenne au moment où elle se pose avec le plus d’acuité, tant durant la campagne que le jour du vote. Pour Emmanuel Macron l’Européen, ce serait un comble. L’organiser à la rentrée de septembre serait bien trop éloigné des propositions nécessaires du président de la République à l’issue du grand débat. La logique pousse donc à un référendum à questions multiples en juin, tout comme le général De Gaulle avait organisé un référendum, puis des élections législatives à un mois d’intervalle en octobre et novembre 1962. Ce serait la solution la plus respectueuse de l’ampleur du problème.