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Chronique «A contresens»

La reine mise à nue

Chronique «A contre sens»dossier
Miss France 2019 s’est indignée contre une réflexion sexiste de Laurent Ruquier qui pointait pourtant la vraie nature du concours. Supprimons plutôt cette compétition de femmes-objets sexuels.
publié le 15 février 2019 à 18h16
(mis à jour le 15 février 2019 à 18h16)

Dans un entretien accordé au Parisien le 7 février, Vaimalama Chaves, Miss France 2019, révélait qu'elle avait été surprise par une blague de Laurent Ruquier lors de son talk-show du samedi soir, trois semaines auparavant. Alors qu'elle était sur le plateau de l'émission, l'animateur dit en substance que sa présence pourrait provoquer l'augmentation d'une natalité nationale en berne. «J'ai été étonnée, a-t-elle avoué aux journalistes, je ne m'attendais pas à ce qu'il dise à l'antenne quelque chose qui signifiait en quelque sorte : voilà Miss France, utilisez son image pour vous branler et faire des enfants.» Sans doute gênée d'avoir enlaidi la langue du pays, qui pourtant la couronna reine de beauté, en utilisant le terme «branler», elle est allée plus loin : «C'est vraiment pas chouette d'être considérée comme un objet», a-t-elle jugé. Mais lorsqu'on participe à un concours de beauté comme celui de Miss France, cherche-t-on vraiment à être reconnue comme un sujet ? S'il en était ainsi, on couronnerait des jeunes filles - ou des vieilles dames - pour d'autres atouts que leur physique. On décernerait le prix Miss France à une femme pour ses talents ou son génie qui représenterait au mieux la France devant les autres pays du monde.

Voilà pourquoi les différents mouvements qui luttent pour l’égalité entre les hommes et les femmes prônent depuis longtemps la disparition de ces concours qu’ils assimilent à des expositions du Salon de l’agriculture. Aux Etats-Unis, à la suite du mouvement #MeToo, on a supprimé le défilé en maillot de bain et en robe du soir pour que l’apparence physique ne soit plus le principal critère pour emporter cette «compétition» - mot qui remplace désormais celui de «concours», qui renvoie davantage à l’univers des éleveurs de chevaux ou de vaches.

Si Laurent Ruquier a fait si mal à Vaimalama Chaves, c’est parce qu’il a osé dire la vérité sur la nature du concours Miss France. Soudain, le roi- ou plutôt ici la reine - était nu. N’est-ce pas cette même vérité qui pousse la jeune femme à employer le mot «branler» plutôt qu’un synonyme, plus conforme au statut de fille modèle et polie que l’on attendrait d’une Miss ? Comme si la blague avait non seulement dénudé la vérité du concours mais également la gagnante elle-même.

Malheureusement, les médias et les réseaux sociaux n’ont pas pris les choses de cette manière. Ils se sont ralliés aux accusations de sexisme proférées par Vaimalama Chaves contre l’animateur. Personne ne dit un mot sur le sexisme du concours, comme si l’important était de traiter les femmes comme des objets en niant ce que l’on fait avec elles. Mais cette espèce d’hypocrisie n’est-elle pas celle qui sous-tend les luttes actuelles contre les propos sexistes tenus non seulement à la télévision, mais aussi dans les transports ou encore au travail ? Au lieu de se battre contre les véritables causes des inégalités entre les genres, comme celle de la place qu’occupent les femmes dans la famille, contre la manière dont la modernité a construit le rôle maternel, confinant les femmes à être des objets sexuels, on préfère protester contre les mots qui désignent cette situation telle qu’elle est.

Les propos humiliants tenus envers les minorités révèlent à chaque fois une situation sociale ou politique de discrimination et d’inégalité opprimant les individus qui appartiennent à de tels groupes. Le fait de les interdire, de les bannir de l’espace public, a pour conséquence - et sans doute aussi pour objectif - de masquer la réalité. C’est ainsi que cette censure empêche que ces injustices soient connues, analysées, critiquées et, du même coup, transformées. Qui sait ? C’est peut-être en nous insultant les uns les autres, et non pas en nous parlant avec respect, que nous finirons par transformer nos démocraties actuelles en régimes dans lesquels le mot «égalité» ne sera plus un mensonge ou un vœu pieux.

Cette chronique est assurée en alternance par Paul B. Preciado et Marcela Iacub.