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Blog «Humeurs noires»

Kohndo : "Je déteste le marketing de la personnalité"

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De retour avec son clip métaphorique "Demain le jour", Kohndo se confie dans notre entretien sur sa trajectoire familiale, artistique et d'enseignant en conservatoire. Sociologie d'un rappeur français.
Kohndo ( image : Boris Wilensky )
publié le 27 février 2019 à 23h43
(mis à jour le 4 mars 2019 à 23h13)

Michel Bampély : Ta mère était déjà responsable de famille à 6 ans au Bénin. Après un DUT en Génie Civil, elle est devenue ingénieure principale en bâtiment. Que t'a appris son parcours de femme hors du commun ?

Kohndo : Ma mère est mon premier modèle. Je décris souvent son parcours comme celui d'une femme qui a lutté toute sa vie contre les aprioris. A priori, une enfant qui allait avec sa grand-mère faire le marché et portait des seaux d'eau sur la tête à Ouidah, n'était pas destinée à avoir sa licence de math à Jussieu à 54 ans. Rien ne la destinait à devenir ingénieure en bâtiment. Elle a évolué dans un monde d'hommes où être femme et noire lui ôtait toutes chances de faire carrière. C'est la première personne qui m'a appris qu'on pouvait hacker le système. Les études, la connaissance, la patience et la persévérance sont des clés pour y arriver.

Michel Bampély : Ton père était professeur d'économie et ton grand-père maître d'école. Depuis quelques années tu enseignes le rap aux conservatoires de Cergy et de Puteaux. Faut-il y voir une forme de reproduction sociale ?

Kohndo : Ma mère aurait préféré que je sois ingénieur et mon père économiste plutôt que rappeur. Après avoir fait mon deuxième album "Deux pieds sur terrre" entre Détroit et New York, ma mère m'a dit : " fais ta musique car tu as déjà vu bien plus de pays que moi dans toute une vie". Honnêtement c'est l'amour du rap qui m'a conduit là. Je n'aurai jamais imaginé enseigner du rap un jour et encore moins à ce niveau.

Il n'y a pas de reproduction sociale dans les choix de vie que j'ai fait, juste des forces cosmiques qui m'ont permis de trouver ma voix. Souvent je les prie de me laisser être l'artiste que j'ai envie d'être. Mon éducation pèse sur ma liberté artistique même si c'est grâce à elle que je suis si singulier dans le rap. Là où j'aurai été considéré comme un digne représentant de la culture hip hop, il y a quelques années, aujourd'hui il m'est plus difficile d'exister avec les codes du rap game. J'ai la tentation de l'insulte, de l'exagération, du mensonge et c'est là que mon héritage familial me protège.

Il est difficile de faire comprendre qu'on est multiple car j'ai autant les codes de la rue que les codes du monde "corporate du travail". J'ai toujours été tout-terrain, c'est ma plus grande qualité et mon plus grand défaut.

Kohndo ( Image : Cebos Picsandlove)

Michel Bampély : Pour quelles raisons crois-tu qu'un artiste doit mobiliser sa part d'ombre en tant que sujet créateur ?

Kohndo : Personne n'est monolithique, je ne supporterai pas d'être une caricature de moi-même. Je déteste le marketing de la personnalité. Le matin je me lève, je souris, le midi je pleure, le soir je jouis. La vie se symbolise par le Yin et le Yang : l'équilibre. Je veux que ma musique ait cette complexité. L'ombre est nécessaire pour faire émerger la lumière. De mes pires épisodes de vies, je fais des chansons poignantes. Dans «Revenir à la vie» mon divorce m'a permis d'évoquer les liens que se délitent, l'attachement et le détachement. Dans "Entre les murs" j'ai témoigné pour les gens que j'ai rencontrés quand je faisais des concerts dans le monde carcéral en me servant de mes propres angoisses. Qui est le plus enfermé des deux ? Nous dans nos boulots, dans nos vies de famille ? Ou bien le détenu ? Peut-être le sommes-nous tout autant.

Michel Bampély : Dans ton album Intra-Muros, tu abordes au fil des chansons la thématique de l'enfermement. Pourquoi la famille que l'on fonde peut nous enfermer ? As-tu finalement vécu ton divorce comme une libération ?

Kohndo : Tant que tu es acteur de tes choix, tu es libre. Oui, le couple peut être à la fois un paradis et un enfer. En sortant d'une relation tu te sens plus libre car tu n'as plus à négocier sur tout et pour tout, mais la séparation est un purgatoire. Faut être prêt à encaisser les coups. Chacun emporte son enfer avec lui. Il est en nous. On doit perpétuellement négocier avec. Les chaînes, ce sont nous qui nous les mettons.

Michel Bampély : Ton dernier clip « Demain le jour » renvoie à la nature où l'on se recueille pour y renouer avec sa sagesse intérieure. En quoi l'image peut-elle transcender une œuvre musicale ?

clip «Demain le jour » réalisé par Cédric Villaret @aerodrone alpes

Kohndo : Le clip "Demain le jour" est la métaphore de ce titre. Comment raconter l'espoir ? Faire une déclaration de foi à sa propre vie, à sa musique ? Peut-on encore parler d'espoir dans ce monde ? Qui pour écouter un message dans le rap game ? Il fallait vivre une expérience et oser assumer ce qu'on est et ce qu'on défend. Les gens de valeurs se taisent trop en ce moment.

Avec Aérodrone Alpes, la boite de Cedric (Dj Skore), on a vécu une expérience incroyable. Il a fallu qu'on apprenne de l'un et l'autre, qu'on expérimente la douleur ensemble, qu'on soit exigeant sans jamais rien lâcher pour que ce clip voit le jour. C'est là où ma culture hip hop rejoint le bushido. Parfois je me demande si je ne suis pas prêt à mourir pour mon art...

Michel Bampély : En tant qu'artiste, tu souhaites que ton public ait accès à sa profondeur. Tu disais te sentir tenté par le sale, l'injure et l'égotrip mais que tu ne pouvais pas céder à cause de tes loyautés familiales. Réussir c'est parfois trahir son milieu d'appartenance pour rejoindre son milieu de référence…

Le sale est un jeu d'enfant. La grossièreté est facile. J'entends dire que c'est l'arme du pauvre, mais en vérité en France l'intelligence et l'éducation sont à notre portée. On a trop tendance à l'oublier. Les valeurs que nous transmettent nos parents nous destinent à être plus grands que ça. J'ai pas envie d'être Scarface mais Lumumba. Malcom X disait que "l'hostilité est une bonne chose. Il y a trop longtemps qu'elle est contenue". C'est ce que je crois donc je veux que les gens soient libres de dire ce qu'ils ont envie. Mais je bloque toujours sur la phrase d'après : " Quand nous cesserons de tourner la haine contre nous-mêmes, nous commencerons à être libres". C'est souvent ce que je me dis quand je dois gratter une ligne.

Kohndo, l’album «Intra-Muros», Greenstone Records, 2016

Michel Bampély : Tu as repris dernièrement les cours d'apprentissage de piano. Quelle est la personne en toi qui te fait le plus grandir ? Le maître ou l'élève ?

Kohndo : Oui, savoir jouer d'un instrument avec aisance me semble essentiel dans ma démarche artistique. J'aime tellement la musique, j'ai besoin de comprendre ce langage, pouvoir le lire, l'écrire, l'expliquer. Un boulanger avec 25 ans d'expérience doit savoir faire un meilleur pain. Pas l'inverse.

J'apprends plus de l'élève que du maître. L'enfant est plus naïf, plus concret, plus intuitif, plus sensible. Il m'est difficile de le préserver avec autant d'années d'expériences et autant de figures croisées le long de cette route. J'ai rencontré des gens extraordinaires comme Fred Wesley, Isaac Hayes, Masta Ace, Dee Nasty, Solo… Assez de gens qui peuvent t'impressionner mais au final on se rejoint car on a l'amour du jeu. On aime d'ailleurs jouer cette musique ensemble. Tout ça n'est qu'un jeu et comme les enfants quand je joue, je le fais avec toute mon implication, mon amour, mon sérieux.