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Libération
Critique

Quand l’archéologie fait l’histoire du monde

Des archéologues retracent dans un beau livre la chronologie des civilisations du monde entier, des origines à nos jours. Et reviennent sur quelques idées reçues.
publié le 27 février 2019 à 17h46

Et si l’avenir de l’histoire, c’était l’archéologie ? La question se pose à la lecture de la somme publiée à l’automne et déjà vendue à près de 10 000 exemplaires,

Une histoire des civilisations. Comment l’archéologie bouleverse nos connaissances.

Riche depuis les années 80 de nouvelles méthodes et de nouveaux outils, notamment l’analyse de sections d’ADN anciennes, la discipline s’invite sur le terrain d’historiens trop dépendants des sources écrites pour approcher dans le détail la vie quotidienne et la culture matérielle des populations qu’ils étudient. L’archéologie aurait ainsi changé l’image sombre d’un Moyen Age coincé entre Antiquité et Renaissance.

«[Elle] a permis de remettre en cause cette interprétation et de souligner la dynamique économique et culturelle qui succède à l’effondrement de l’Empire romain»,

écrit Dominique Garcia, président de l’Institut national de recherches archéologiques préventives (Inrap). Le résultat, c’est une fresque, richement illustrée de photographies, frises, cartes. Elle dessine l’histoire des civilisations sur les cinq continents - autant que le permettent les fouilles, encore peu développées en Afrique, Asie et Amérique du Sud - depuis ses origines, il y a six millions d’années, jusqu’à nos jours, puisque l’archéologie s’invite aussi dans l’étude des conflits contemporains : des fouilles dans les tranchées de la Grande Guerre ont mis au jour des dépotoirs qui renseignent sur les habitudes alimentaires des soldats.

Côté Préhistoire, l’ouvrage démonte des idées reçues héritées de notre vision d’une humanité en progrès constant : en Afrique du Sud, le petit Homo naledi, vieux de 300 000 ans et conservant des caractères semblables à l’australopithèque, est décrit par Jean-Jacques Hublin comme une «forme mystérieuse au milieu des populations d’Hominines à grands cerveaux qui peuplaient l’Afrique à cette époque». Il est l’exemple de la cohabitation des lignées, loin de tout schéma linéaire qui irait par étapes régulières de l’australopithèque à l’Homo sapiens. Au bout du compte, c’est quand même ce dernier qui emporte seul la partie dans les derniers 40 000 ans avant notre ère.

Si l'entrée dans le Néolithique est bel et bien marquée par la diffusion de l'agriculture, le Proche-Orient n'en est pas l'unique berceau. Jean-Paul Demoule précise : «Les progrès de l'archéologie contemporaine ont montré […] la variété des processus qui ont débouché, à l'échelle de la planète, vers d'autres véritables sociétés agricoles.»Et contrairement à ce qu'on croit, c'est parce que l'homme s'est sédentarisé qu'il cultive, et non l'inverse. Enfin, pour expliquer la diffusion des Etats, le livre insiste entre autres facteurs sur l'importance du commerce. Produire plus que les besoins du groupe implique un modèle de gestion nouveau, de telle sorte que «l'Etat apparaît comme le mode d'organisation politique adapté lorsque […] la croissance d'une population humaine dicte la dynamique des modes de production au lieu de s'y soumettre», écrit Garcia, avant de dresser la liste des raisons pour lesquelles un Etat s'effondre : «Mondialisation, affaiblissement des élites politiques, conflits inter ou supra-ethniques, dérèglements climatiques, crise économique, déclin démographique, émergence de nouvelles identités ou réactivation d'anciennes.» Une liste qui montre que l'archéologie nous aide à revoir notre histoire, mais aussi à penser notre présent.

TH.S.