Pour la soirée des oscars, on a eu de la chance : le show hollywoodien n’est pas parvenu à trouver un animateur pour la soirée, tout le monde s’étant défilé après l’éviction de Kevin Hart (coupable de vieux tweets et blagues homophobes). Du coup, mis à part la voix emphatique et anonyme habituelle qui introduisait les remettants, pas de host - ce qui signifiait : pas de discours initial interminable plein de blagues et de connivence agressive, pas de petits numéros comiques de l’hôte émaillant la soirée, pas de selfies ni de distribution de hotdogs… et curieusement, aucun problème ; une cérémonie allégée et donnant libre cours à l’expression individuelle : celle des lauréats, mieux mis en valeur (ou pas) dans ce contexte light, mais aussi des stars ou couples de stars venus distribuer les statuettes - dans une forme d’auto-organisation faussement ou parfois réellement improvisée, qui permettait de construire, comme l’a joliment dit l’un d’eux, un «travail collaboratif». Ce travail collectif qu’est le cinéma, c’est aussi ce qu’a rappelé deux jours avant, à notre cérémonie française des césars, dans un beau discours, Jacques Audiard, sacré faute de mieux meilleur metteur en scène, déclarant à ses concurrents déconfits : «Si je fais des films, c’est parce que vous faites des films.» Pour nous, les fidèles des deux cérémonies, qui nous sommes cogné cette soirée des césars avant celle des oscars, la comparaison est dans un premier temps cruelle. On se serait bien passés de présentateur nous aussi, sauf peut-être pour ses sympathiques premières minutes d’hommage à Freddie Mercury et une bonne blague sur Yann Moix. Phénomène intéressant pour moi qui admire tant Kad Merad, le héros de Baron noir. On peut être un acteur de génie et un présentateur… de misère.
Faut dire que comme toujours Hollywood marque des points du côté du soin apporté à l’écriture : les interventions comiques des remettants des césars sur scène sonnaient tellement faux qu’elles faisaient pitié, comme leurs blagues pourries adressées à Robert Redford, invité d’honneur de la soirée, sidéré. Les petits numéros des oscars, certes, sans génie, étaient mieux ajustés.
Punition supplémentaire, on retrouve Kad Merad (avec le soutien patient de l'érudit et charmant Didier Allouch) en commentateur assez sinistre de la nuit des oscars sur Canal +. Il donne l'impression de n'avoir vu qu'un seul des films en lice - toujours Freddie - Rhapsody, heureusement récompensé par quatre oscars dont celui de meilleur acteur pour l'étonnant - et éloquent - Rami Malek. La soirée hollywoodienne n'a pas été avare de beaux moments : on a eu le plaisir de voir en bande les splendides acteurs de Black Panther (Wakanda forever) ; d'entendre Lady Gaga prendre sa revanche de l'échec de A Star is Born - le remake de Bradley Cooper - par une performance live extraordinaire sur scène au piano, reléguant son metteur en scène au rang d'accessoire ; d'admirer Regina King, la meilleure actrice de la décennie, enfin oscarisée ; d'écouter Alfonso Cuarón sur les employées domestiques et des travailleuses du care, invisibles «à l'arrière-plan des films» ; mais aussi d'admirer, pour leur science et leurs discours, les premières femmes afro-américaines à remporter des oscars techniques, encore pour Black Panther (Ruth E. Carter pour les costumes et Hannah Beachler pour les décors) ; et bien sûr Spike Lee, sautant dans les bras d'un Samuel Jackson jubilant au moment, véritablement historique, de sa première récompense officielle pour la meilleure adaptation pour le scénario de BlacKkKlansman.
Tant de voix jusqu'ici étouffées : apparemment on est loin des critiques de #OscarsSoWhite en 2016. Apparemment la «diversité» n'a jamais été aussi grande sur la scène des oscars. Mais elle n'inclut pas les «vieilles» - comme Glenn Close en a fait les frais, se voyant refuser l'oscar à sa septième nomination, ironiquement pour The Wife, récit d'une femme exploitée et invisibilisée. Agisme, sexisme, racisme sont toujours bien là. «Do the right thing», a conclu Spike Lee à la fin de son discours de réception, très politique. Pour dire comment se mobiliser pour 2020, mais peut-être pour rappeler gentiment qu'il y a trente ans, son film Do the Right Thing avait été entièrement snobé par les oscars, suscitant une belle réaction en direct de Kim Basinger. Au profit de Driving Miss Daisy, l'histoire réconciliatrice d'un chauffeur noir conduisant une dame blanche, double inversé de celle de Green Book.
J'adore Viggo Mortensen, Mahershala Ali et oui, je suis fan de toujours des frères Farrelly et notamment de Dumb et Dumber. Je n'adore pas le petit jeu qui consiste à agiter son propre classement contre celui des académies, qui sont ce qu'elles sont. Mais cela donne à penser qu'on ait préféré, au premier film mexicain tourné en espagnol nommé aux oscars (Roma d'Alfonso Cuarón) ; au génial et populaire Bohemian Rhapsody, la trajectoire, comme le rappelait Rami Malek, d'un immigré gay ; au premier film de super-héros au casting quasi entièrement afro-américain, Black Panther de Ryan Coogler ; à BlacKkKlansman de Spike Lee (donc à deux films par des metteurs en scènes afro-américains et ayant le mot «black» dans le titre)… Green Book un film de Peter Farrelly, sur un chauffeur blanc et sa découverte du racisme. Le même Farrelly se répand en expliquant que la leçon de son film, c'est que le racisme c'était, certes, horrible dans les années 60, mais qu'en fait, c'est encore comme ça aujourd'hui. Prophétie autoréalisatrice. Devant tant de perversité, il ne nous reste qu'à apprécier la déclaration ironique d'Alfonso Cuarón, finalement oscar du «meilleur film étranger» : «Depuis mon enfance, j'ai été bercé par les films étrangers : Citizen Kane, Jaws, A bout de souffle…», et à repenser à nos films français, aux minables attachants et à leurs coachs déments du Grand Bain, au puissant, réaliste et terrifiant Jusqu'à la garde, aux petits jeunes de Shéhérazade ou de Première Année… Et à attendre, avec impatience, la 3e saison de Baron Noir et la renaissance de Rickwaert.
Cette chronique est assurée en alternance par Sandra Laugier, Michaël Fœssel, Sabine Prokhoris et Frédéric Worms.