Tribune. Près d’un quart des familles françaises sont des familles monoparentales. Derrière ce vocable technique se cache une réalité sexuée : ces familles sont à 85 % des femmes qui élèvent seules presque 3 millions d’enfants. Même si certaines femmes cheffes de famille monoparentale appartiennent à des classes aisées ou moyennes, toutes se trouvent dans des situations difficiles, résultant de facteurs spécifiques à leur statut de mère isolée : sentiment d’échec familial, rapports conflictuels avec l’ex-conjoint, difficultés à recouvrer une pension alimentaire, sécurité et éducation des enfants qui dépendent d’un seul salaire, fragilisation du tissu relationnel et du statut social, peur de perdre la garde de leur(s) enfant(s)…
Pour la plupart d’entre elles, ces difficultés spécifiques sont aggravées par les inégalités rencontrées par l’ensemble des femmes, en matière de formation, de recrutement, de contrat de travail, d’emploi du temps, de salaires, de modes de garde ou de retraite… Le cumul de ces facteurs discriminants génère très fréquemment une situation de précarité, qui parfois touche également certains pères de famille monoparentale.
L’insécurité qui en résulte peut avoir des conséquences plus ou moins graves et définitives. Au pire, quand elle devient persistante, elle peut conduire à la pauvreté. Au-delà de cette extrémité, elle peut compromettre toutes les chances d’assumer ses responsabilités de mère et de préserver ses droits de femme. Paradoxalement, la plupart d’entre elles se retrouvent à limiter leurs contacts avec les services sociaux ou les professionnels de santé de peur de perdre la garde de leur(s) enfant(s), exposant négativement leur propre santé et leurs conditions de vie, ainsi que celles de leur(s) enfant(s), alors même qu’une famille monoparentale sur trois vit en dessous du seuil de pauvreté (1).
De plus, 40 % des mères de familles monoparentales sont inactives, un tiers travaille à temps partiel, et 33 % n’ont aucun diplôme. 60 % de ces mères ayant un enfant de moins de 3 ans ne travaillent pas, en particulier, à cause du déficit de modes de gardes financièrement adaptés. Enfin, 20 % des bénéficiaires du RSA, soit 500 000 personnes, sont des mères de familles monoparentales et 33 % d’entre elles vivent en HLM.
Dans ce contexte, le Laboratoire de l’égalité demande que les familles monoparentales, et en particulier les mères seules, soient placées au cœur des politiques publiques, et que celles-ci soient consacrées, en priorité, à la fin de leur isolement, à leur accès à un emploi stable et à la garantie de conditions de vie décentes, pour elles et leurs enfants. Dans cette perspective, le Laboratoire de l’égalité formule plusieurs propositions concrètes.
Les accompagnements psychologiques dans les parcours de retour à l’emploi doivent se généraliser pour que les femmes puissent prendre en charge leur destinée professionnelle. Il devrait être aussi mis à disposition des méthodes de développement personnel pour déconstruire l’intériorisation des discriminations liées à l’âge et au sexe, et améliorer les interactions sociales, notamment pour les femmes victimes de violences (219 000 femmes âgées de 18 à 75 ans chaque année) (2).
L’amélioration de la mobilité physique des femmes et la protection de leur mobilité virtuelle est nécessaire, à la fois en termes de coût financier, mais également de liberté de circuler (9 femmes sur 10 sont victimes de harcèlement dans les transports en commun et 73 % ont été harcelées en ligne dans le monde) (3).
Il faut déployer des services de garde permettant de disposer de temps pour chercher un emploi et se déplacer sans contraintes, accorder une priorité d’accès aux modes de garde à toutes les familles monoparentales d’enfants de moins de 3 ans, tout en prenant en compte les temps périscolaires (cantine, garderie, centre de loisirs), même lorsque les parents n’ont pas d’emploi, et créer davantage de services de garde en zone rurale. L’ensemble des dispositifs d’aide et de développement de l’emploi doit être accordé en priorité aux femmes à la tête de famille monoparentale les plus éloignées de l’emploi et aux moindres qualifications. L’élaboration d’un statut de mère distinct de celui de titulaire d’un emploi, notamment pour les très jeunes mères qui n’ont pas d’expérience professionnelle et bénéficient d’allocations, améliorera la qualité de vie des femmes seules avec enfant(s). La formation des agent·e·s qui travaillent avec ces mères éloignées de l’emploi à leur spécificité permettra de les sensibiliser à la nécessité de les orienter vers des métiers valorisants et pérennes. La réduction de la précarité des emplois occupés par ces femmes passe par la majoration des rémunérations d’horaires matinaux ou tardifs, et la mise en place des aides pour trouver un travail complémentaire dans le même secteur géographique en accompagnant les femmes dans la mobilité.
Pour garantir des conditions de vie décentes à ces femmes, le Laboratoire de l’égalité préconise l’amélioration de l’accès aux prestations sociales, par des versements immédiats et non rétroactifs en fonction des déclarations fiscales, et la mise en place d’une allocation de soutien familial différentielle pour compenser les pensions alimentaires fixées en dessous de l’Allocation de soutien familial. Pour simplifier les procédures et les démarches administratives d’attribution des aides sociales, les mères de famille monoparentale doivent être mieux accompagnées et mieux informées. Il est aussi primordial de ne pas accroître l’isolement de ces femmes et de leur faciliter l’accès aux services publics, notamment en ce qui concerne les critères d’attribution de logements sociaux.
Ces pistes d’actions doivent permettre de prévenir la précarité économique et sociale des chef·fe·s de familles monoparentales, mais aussi de contribuer à l’égalité réelle entre les femmes et les hommes.
(1) Insee, «Pauvreté en conditions de vie de 2004 à 2016», enquête SRCV.
(2) Femmes âgées de 18 à 75 ans, vivant en ménage ordinaire en métropole. Source : enquête «Cadre de vie et sécurité» 2012-2018, Insee-ONDRP. Ces chiffres sont des moyennes obtenues à partir des résultats des enquêtes de 2012 à 2018.
(3) Source : Amnesty International-Ipsos- Mori Poll 2017.