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Blog «Humeurs noires»

L'âme de Lizzy Mercier Descloux

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Le Livre de Simon Clair retrace le parcours de l'égérie absolue de la scène rock new yorkaise des années 1970. Pourtant, l’artiste française est morte seule à 47 ans dans le plus grand dénuement, ne laissant qu’une trace anecdotique dans l’histoire de la musique.
Lizzy Mercier Descloux (image : tous droits réservés)
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publié le 15 mars 2019 à 22h26
(mis à jour le 17 mars 2019 à 22h44)

Par Arthur-Louis Cingualte*

« Qui se souvient de Lizzy Mercier Descloux ? » On pourrait même ajouter (puisque quand on tient un patronyme de cet acabit il est impossible de ne pas être tenté de le substituer aux « Polly Maggoo » ou aux « Panthères Roses » des titres des plus délicieux films des sixties) : « Qui êtes-vous Lizzy Mercier Descloux ? » ; et, pour le savoir, on recommanderait bien évidemment de partir « A la Recherche de Lizzy Mercier Descloux. » Le temps continue de passer et force est de constater que, selon là où l'on se situe par rapport à son œuvre, la question posée par l'unique tube de la chanteuse - Où sont passées les gazelles ? – persiste. Lizzy a comme rejoint le troupeau caché qui bondit de joie dans la savane cosmique.

Le livre de Simon Clair - Lizzy Mercier Descloux une Eclipse, édité par Playlist Society – en débobinant en forme d’hagiographie le récit de la vie de la gazelle en chef avec l’appui précieux des témoignages de ses amis les plus proches et de ses amours les plus passionnés, est le premier effort d’envergure pour ramener quelque chose de sa recherche à travers le globe. Rien que pour cela, c’est un document éminemment précieux.

Simon Clair, Lizzy Mercier Descloux, une éclipse, 2019 © Playlist Society

Ceux qui écoutent Lizzy et se partagent ses albums depuis des années sous le manteau, disposaient déjà de quelques éléments incontournables : sa beauté (qu'on constate sur chaque pochette), son rôle, loin d'être négligeable, au sein de la scène post-punk-no-wave de New York (qu'on constate en écoutant ses premiers efforts) ou encore sa position à l'avant-garde d'une conception saine de la World Music (qu'on constate en écoutant les albums suivants), etc… Cependant, gazelle et Marsupilami, en dehors de ces points précis et de quelques informations glanées de ci de là, sa figure, comme le tout percussif de sa musique, résiste à toute tentative de mise au point.

« Les uns après les autres, elle avait laissé derrière elle tous les hommes ; elle n'avait adressé la parole à aucun d'eux, elle ne s'était arrêtée devant aucun d'eux. Mais elle était entrée en eux tous. » Cette phrase du capitaine de marine hollandais et poète, Hendrik Cramer, s'applique à merveille aux déclarations de tous ceux qui ont rencontrés Lizzy Mercier Descloux. De fait, tous les témoins sollicités par Simon Clair dessinent le même portrait. On ne cesse de revenir sur l'aspect profondément sauvage de sa personne (le mot revient presque dans la bouche de tous), son magnétisme incomparable et son aptitude à disparaître. La langue dehors et l'agitation dansante, comme Kali, la déesse hindoue de la transformation et de la destruction que le livre invoque judicieusement, la qualité de la présence remarquable de la chanteuse était intrinsèquement, et très paradoxalement liée, à sa capacité à s'abandonner ; à s'abandonner jusqu'à disparaître. C'est pourquoi son œuvre a toujours préféré l'abandon culturel à l'appropriation culturelle.

Lizzy Mercier Descloux, Fire - ZE Records, 1979

Lizzy a comme refusé le signe de la star pour se donner toute entière à celui de la comète ; une comète, ou même plutôt un météore qui, à l’image du livre qui s’ouvre et se clôt avec le trou de Châtelet (qui deviendra plus tard le forum des halles), se serait, à l’envers, propulsé depuis son point d’impact. Ce trou, comme l’explique magnifiquement Simon Clair, n’est pas le symbole de quelque chose qui doit être comblé mais un monument édifié pour consacrer une disparition.

« Moi, j'ai tenté l'aventure sans espoir ; j'ai dansé sur le cratère des volcans et j'ai volé vers la couronne du soleil en sachant bien qu'un jour le poids du monde me tomberait sur les épaules et que j'allais être forcée d'assumer la destinée des fous d'orgueil jusqu'à ce que Némésis la vengeance ait fini de me marcher sur le ventre et que je crève juste devant les portes du ciel où je n'entrerai jamais. »

Voici ce qu'écrit à vingt-cinq ans en ouverture de son deuxième roman, Le Diable Vert, une autre somptueuse traveleuse, elle-aussi intime de Kali et disparue deux fois, Muriel Cerf. La gazelle et le cerf, comme sa grande sœur littéraire, Lizzy Mercier Descloux, n'est pas entrée au ciel. Son occultation n'a pas pu être résolue puisqu'elle est le produit même de son mouvement, ce mouvement auquel elle s'est, artistiquement, dévouée tout entière. Alors Lizzy se contente, bondissant de trou de Châtelet en trou de Chatelet, passant par l'Afrique et les Amériques, d'y passer inlassablement, insaisissable.

Lizzy Mercier Descloux - Mais ou sont passées les gazelles, CBS, 1984

*Historien de l'art, Arthur-Louis Cingualte contribue depuis quelques années à diverses revues consacrées au cinéma et à l'image plus généralement (la Septième Obsession, Sédition, le blog des éditions du Feu Sacré), cette année 2018 il prépare deux livres dont l'un consacré à Nick cave & The Bad Seeds