Michel Bampély : Lebreak dance fut en partie importé en France au début des années 1980 par les danseursissus de la diaspora africaine et notamment par les enfants de diplomatesafricains qui effectuaient des voyages entre Paris et New York. Croyez-vous quecette discipline serait devenue olympique sans sa réappropriation par d’autrescultures ?
Je ne connais pas cette histoire avec les enfants dediplomates africains. C’est intéressant, j’aimerais en savoir plus.
L’histoire du Hip Hop en France nous enseigne que les jeunes etles banlieues françaises se sont très vite réappropriés cette culture afro-américainedans les années 80. L’arrivée notable du premier animateur noir à la télévisionsur TF1 avec l’émission H.I.P H.O.P a donné tout de suite un rdv familial etpopulaire. C’était symbolique et hyper fort. Drucker n’aurait pas pu faire lejob même si c’était un dimanche après-midi ! Sur TF1 à l’époque ils étaientun peu plus courageux. Je ne pense pas que cette discipline aurait pu devenir olympiquesans cette réappropriation par d’autres cultures. La force de la culture Hip Hop,c’est justement son universalité dans une pratique où nous sommes tous égaux.La pratique du Hip Hop a besoin de peu de moyens. Pour danser, ton corps suffit. Pour rapper quelques punchlines justes, une bouche et un peu de rythme et le tour sera joué. S’il manque un peude musique, tous les acteurs du Hip Hop savent faire deux trois beat box pourdonner un peu d’élan. C’est sans doute pour cela que le Hip Hop est pratiquéaujourd’hui partout dans le monde.
Michel Bampély : ManuelValls, alors premier ministre, avait proposé en 2015 l’instauration d’un diplôme dedanse hip hop. Ce fut un tollé. Où en est-on de ce projet ?
Manuel Valls est battu lors de la Primaire de gauche PATRICK KOVARIK / AFP
C’est reparti dans les cartons pour le moment, certainsacteurs s’y opposent fortement. Beaucoup ont eu peur de voir leurs élèves quitterleurs écoles de danse sauf que le diplôme national en danse hip hop sont 3 annéesd’études supérieures. Ce diplôme du DNSPD (Diplôme National Supérieur Professionnel de Danseur) est au conservatoire et c’est pourdevenir interprète dans l’esthétique hip hop en direction des métiers duspectacle vivant. Il y a une grande différence entre faire de la danse hip hop pour le loisir dans une école de danse et passer un DNSPD au conservatoire. J’ai entendu tout et n’importe quoi surle diplôme, il y a un amalgame qui a été fait entre le DE (Diplôme d’Etat) etle DNSPD. Il faut expliquer et fairede la pédagogie.
Avec Monsieur Valls, c’est du DNSPD qu’il était question ettrès vite un mouvement hostile s’est opposé à l’arrivée d’un diplôme Hip Hop auconservatoire. L’Etat a eu peur et à rebrousser chemin mais sans doute pour mieuxrevenir. Il a lancé une étude sur l’année 2018 pour déjà recenser tous les centresde formation hip hop existants sur le territoire national. Notre centre deFormation professionnel à Feyzin (69) qui s’appelle la Formation I.D (interprètedanseur) fait partie d’une dizaine de structures en France qui transmettent cetype de compétence. C’est très peu. Selon moi, la création d’un DNSPD en France avec despersonnes compétentes en danse hip hop serait pertinente. Ce serait injuste quece type de diplôme existe pour le jazz, le contemporain, le classique et pas pourle hip hop (il n’y a rien actuellement pour faire reconnaitre cette danseauprès de l’institution). Certes la danse hip hop n’est pas une danseacadémique et construire un diplôme sans qu’elle le devienne sera un des enjeuximportants, mais bon il faut être raisonnable aussi. Ce n’est pas au conservatoirequ’on va vivre et apprendre la culture Hip Hop.
Michel Bampély : J’aientendu l’excellent breaker Mounir Biba sur RMC raconter les originesétasunienne de sa discipline. Il n’a pas osé évoquer aux médias une culturenoire, afro-américaine. Comment expliquez-vous une telle omission historique ? Y voyez-vous un effetgénérationnel ?
Mounir Biba, champion du monde de break dance 2012 (image : tous droits réservés)
Aurélien Kairo : Je pense que c'est un oubli. Cet oubli est peut-être eneffet un peu révélateur d'une génération plus jeune qui ignore ou méconnait l'historiquedu Hip Hop. La naissance au Bronx avec les pères noirs du Hip-Hop que sont lesDj Afrika Bambaataa, Grand Master Flash et Kool Herc. Sans oublier la genèse dans un contexte loin d'êtreanodin. Racisme, drogue et de grands déplacements de populations énormes dûs àla fin de la ségrégation car les Blancs ne voulaient plus mettre leurs enfants dansune école où il y aurait dorénavant des Noirs. Ce bouleversement immobilier a vouéà la destruction et/ou à la rénovation de plusieurs quartiers du Bronx. C'est dans ce contexte de crise que le Hip Hop a trouvé deslieux désaffectés pour se rassembler et se réapproprier un espace de vie pour tenirface à un quotidien difficile. Cela s'appelait les blocs parties. Le rap, cettefaçon de débiter des mots vient de l'ambianceur qui prenait le micro pour amuseret distraire le public des blocs parties et du maitre de cérémonie qui scandaitsa foi à l'église chez les négrospirituals du Gospel.
Oui, le Hip-Hop est bien une culture noire et c’estimportant de ne pas l’omettre (et j’apprends d’ailleurs aux enfants à plus dire « Black »). Le breakdance est incontestablement unedanse afro-américaine qui s’est inspirée fortement des danses ancestrales africaines. Ce n’est pas que cela n’intéresse plus les jeunesgénérations, c’est qu’ils n’éprouvent pas l’intérêt d’en connaitre davantagesur l’historique. La pratique du Hip Hop souvent leur suffit. Alors c’est à nous, par exemple Mounir et moi aujourd’hui de transmettre cette culture.
Michel Bampély : En 1982 lors de la tournée du New York City Rap Tour, les breakers du Rock Steady Crew se sont produits à Lyon, ce qui en faitune ville très ancienne de hip hop. Pouvez-vous me dire quel est leurhéritage ?
Les Rock Steady Crew (image tous droits réservés)
Aurélien Kairo : Oui, j'ai entendu parler du New York City Rap Tour. En 82, c'étaitvraiment le tout début. Le peu de personnes qui s'intéressaient ou qui pratiquaient cette culture à cette époque avaient forcément un lien ou un contact direct avecles USA. Oui, certains de nos ainés de la culture Hip Hop à Lyon se souviennent que Afrikaa Bambaataa est venu à Lyon au début des années 80. Difficile poureux de donner une date précise. Quant à moi, ce n'est pas ma génération, je n'avaisque 5 ans à cette époque. A Lyon, j'ai appris mes premiers footworks de break dance à Vénissieux auprès de la Cie Traction Avant où mes professeursétaient Samir et Ruchdi Hachichi. Leur Cie est née en 84.