Par Benjamine Weill*
Alors que la France se déchire tous les samedis, que les rapports sociaux se crispent à tous les niveaux, que le gouvernement fait la sourde oreille à la détresse populaire et que les individus renvoyés à leur responsabilité individuelle malgré leur investissement dans des mouvements collectifs, le groupe PNL composé de deux frères ADEMO et N.O.S, a fait irruption dans le paysage numérique avec son clip Au DD, pour ne plus lâcher depuis vendredi dernier, le devant de la toile.
Au-delà de la question qualitative de leur production musicale (tant dans les prods que dans les lyrics et les flows) qui relève de la subjectivité et des goûts de chacun, ce groupe incarne une forme de résistance à l'air du temps jusqu'au sein du rap game. PNL est un phénomène au sens fort du terme si l'on se réfère à la définition donnée par le Larousse : « Personne ou chose qui se fait remarquer par son caractère exceptionnel, extraordinaire, singulier ». Les trois adjectifs sont utilisés pour qualifier toutes leurs sorties médiatiques qui sont à la fois rares (donc exceptionnelles), toujours surprenantes et à contrecourant de la norme actuelle (donc extraordinaires) et originales (donc singulières). Le phénomène PNL né en 2014 continue d'agiter, de surprendre, de remuer, de cliver renforçant leur dimension phénoménale toujours selon le Larousse : « personne qui sort de l'ordinaire, qui surprend par son originalité, son caractère excentrique ».
Tantôt considérés comme un phénomène de foire, une monstruosité rapologique, tantôt portés au panthéon du rap game, PNL fait parler mais surtout fait penser. Pire, en tant que phénomène, il oblige à penser, appelle la pensée. Si l'on admet avec Kant (Deuxième conclusion de la Critique de la Raison Pure) que le phénomène est ce qui nous apparait par nos sens, notre dimension sensible, l'art en soi est un phénomène (au-delà de l'appréciation qualitative et esthétique) qui interpelle notre capacité de jugement (entendue comme le siège de la réflexion).
Cette réflexion spécifique sur les phénomènes est un courant philosophique issu du 20ème siècle et notamment par Merleau-Ponty selon lequel, la fonction du philosophe est « d'enregistrer le passage du sens » (Eloge de la Philosophie) à travers la perception générée par le phénomène. Perception qui met en jeu autant notre dimension sensible, émotionnelle, affective et notre capacité à nommer, à comprendre, à rendre intelligible. Autrement dit, la perception relie notre esprit et notre corps, fait sauter l'opposition entre sensible et intelligible, entre le rationnel et l'affectif. Elle est foncièrement subjective, mais n'en demeure pas moins un indice de vérité qu'il s'agit de mettre au jour par une analyse des enjeux et des effets du dit phénomène.
Que nous dit donc, que nous enseigne donc le phénomène PNL ? En quoi est-il un véritable phénomène ? Que nous indique t-il ? Que révèle t-il ? Si le phénomène nécessite une réflexion sur le sens, encore faut- il entendre le double sens du terme. En effet, le sens est à la fois une direction indiquée (ce que cela pointe comme perspective possible) et une signification profonde (ce que cela révèle du monde actuel). En somme, une réflexion sur la phénoménologie de PNL suppose d’être à la fois dans une réflexion sur ce que le groupe incarne aujourd’hui, propose comme lecture du monde, façon de l’habiter et de s’y mouvoir, tout en considérant ce qu’il induit comme mise en perspective, ouverture des possibles. Cette double réflexion suppose une certaine gymnastique intellectuelle pour être à la fois ici et maintenant (description des faits manifestes) et dans une réflexion sur les possibles (analyse des faits latents).
PNL (image : clip Au DD / YouTube)
Prenons les faits d'abord. Le nom du groupe déjà PNL sonne aux oreilles des psychologues comme une référence à la programmation neurolinguistique, à la fois à l'origine de la communication non violente, mais aussi pierre angulaire des théories de la communication, utilisée dans la publicité, les départements de ressources humaines etc. Pourtant, fait surprenant pour certains, le nom du groupe n'a rien à voir avec les théories de la communication et du management qui visent à « agir sur les comportements au moyen du langage » issues de Blander et Grinder dans les années 70 aux Etats Unis. PNL est un acronyme pour Peace And Lové, qui détourne l'adage hippie du Peace and Love pour jouer sur la dimension argotique du dernier terme, signifiant l'argent et non l'amour.
Autrement dit, dès leur nom, les deux frères Andrieu jouent sur l'ambiguïté des termes. Ce n'est pas l'impact du langage sur les comportements qui les anime, mais quelque chose qui se situe entre l'amour et l'argent et la proximité de ces deux éléments dans le monde moderne amenant parfois à les confondre : « j'remplace centimes par sentiments, mon cœur se transforme en billets» (A l'ammoniaque) , « pas plus de haine que d'amour que j'largue entre mes tours » (Au DD), « Et j'suis la pomme pourrie qui s'écarte du panier/J'nique ma solitude tant que les poches sont bien accompagnées » (Le monde ou rien).
*Retrouvez l'intégralité de l'article sur le blog de Benjamine Weill : Essais de rapologie positive : https://blogs.mediapart.fr/benjamine-weill2/blog