Tribune. L'œuvre humaine monte à l'assaut du ciel, et la verticale qui la transcende dit quelque chose de sublime. Telle est sans doute la cause de l'émotion indicible qui nous a saisis lorsque les flammes ont envahi Notre-Dame de Paris. En ces temps oublieux de l'unité de tous les êtres humains, saisie par les passions tristes des différences, le sens universel de notre condition commune s'est rappelé à nous. Mémoire du monument de pierre et de ce qu'il exprime au-delà de la foi qui lui donna naissance, pour tous les regards habitués à le contempler. Et à se savoir fort d'un tel paysage, d'une telle demeure de beauté imaginée puis réalisée avec la patience qui crée obstinément. Voilà qu'a surgi de la terre ce qui s'en affranchit et se fait symbole de portée universelle.
Comme partout où l'homo sapiens produit son monde propre, les monuments sédimentent le passé pour rappeler que l'humanité qui nous porte est faite de plus de morts que de vivants. Ils nous font savoir, comme le dit Montaigne, que «chaque homme porte la forme entière de l'humaine condition». Le passé sculpté dans la pierre, fixé dans la lumière des vitraux, chanté dans l'instrument accordé avec soin, nous invite au recueillement. Tout le génie humain s'y exalte par-delà l'être fragile qui le rend possible. Oui, nous sommes fils de la terre où nous retournerons, mais nos mains ouvrières et nos savoirs nés à la source vive de la pensée font merveille. Culture. Le meilleur de l'humain s'y fait écho indéfini d'un savoir de soi devenu art, capable de parler à chaque personne. La beauté comme fin en soi raconte la force de vivre déliée en son accomplissement. Sous les voûtes vibrantes saisies par la musique de l'orgue toute la chair tressaille, comme habitée soudain, en sa finitude, par une émotion unique. Le sublime est là, quand le regard se lève pour suivre la courbe des pierres et les dessins qui s'imaginèrent en elle.
Pour que le monument sorte de terre et capte la lumière, pour que les verres colorés réinventent le soleil, il a fallu beaucoup de confiance et de travail, d’invention et d’élan, de jubilation terrestre et céleste. Beaucoup de foi pour les fidèles, beaucoup de dévouement humain à l’œuvre commune pour tous les autres, obstinés dans la patience qui crée. Il a fallu tant d’art, de calcul, de pensée prévoyante… et tant de mains ouvrières, bientôt meurtries au façonnage des pierres. Tel est le sens qui a voulu surgir de la vie, par volonté humaine. Art, union des artistes et des artisans, des savants et des penseurs. Union des humanistes croyants et des humanistes sans dieu, désormais capables de se recueillir ensemble, sans que jamais la conviction des uns prenne le pas sur celle des autres. Oui, c’est bien l’humanité une et universelle, délivrée des conflits d’appartenance par l’émancipation laïque, qui s’est éprouvée elle-même, en sa conscience vive, dans l’incendie tragique de Notre-Dame de Paris.