Tribune. Parmi les mesures post-débat national qui devraient être annoncées par le président de la République, il en est une qui porte sur le paiement des pensions alimentaires, dont l’Etat deviendrait le garant en cas de non-versement par le parent débiteur. Dans un pays où, selon les données 2015 de l’Insee, 34,9 % des familles monoparentales, soit 2 millions de personnes, disposent de revenus inférieurs au seuil de pauvreté (contre 11,8 % des personnes vivant en couple), on ne peut que se réjouir d’une telle décision.
Cependant, il serait illusoire de considérer que cette avancée puisse résoudre à elle seule les nombreuses difficultés rencontrées par les familles monoparentales, dans une société où 45 % des mariages finissent par un divorce, (un chiffre qui n’intègre pas les séparations des couples avec enfants nés hors mariage), et où les divorces conflictuels sont beaucoup trop nombreux. La situation des familles monoparentales n’est d’ailleurs elle-même qu’une des nombreuses problématiques posées par des évolutions sociétales qui dépassent de très loin, tout en l’englobant, la simple problématique du divorce et de ses conséquences.
Pendant longtemps, la famille était simplement qualifiée d’élargie ou de nucléaire mais, dans un cas comme dans l’autre, son noyau, le couple, était relativement stable dans un contexte où les mariages duraient jusqu’à la mort d’un des conjoints. On parle maintenant de famille monoparentale, homoparentale ou recomposée, autant de néologismes rendus nécessaires par l’évolution des mœurs familiales.
Des divorces en progression
On dénombre aujourd’hui environ 130 000 divorces par an en France (sans compter bien évidemment les séparations des nombreux couples non mariés) et ce chiffre est en constante progression. Près de 8 % des familles françaises sont des familles recomposées, une tendance qui ne peut aller qu’en s’accentuant, l’espérance de vie, considérablement augmentée, laissant penser que la vie de couple d’un même individu ne se limitera pas forcément à une seule expérience.
Plus de 1,6 million d’enfants vivent ainsi dans des familles recomposées, et plus de 600 000 personnes cohabitent avec les enfants de leur nouveau conjoint. Cette recomposition familiale instaure de nouveaux liens, par exemple entre les enfants et leurs beaux-parents, et appelle de nouveaux droits et de nouveaux devoirs régissant les relations entre les membres de ces familles. Notre droit reste pour l’instant bien silencieux sur ce sujet.
Qu’un enfant soit le fruit d’une union libre, d’un pacs ou d’un mariage, ses droits doivent être les mêmes, surtout quand a lieu la séparation de ses parents. Or, le traitement juridique différent de ces situations crée de facto des discriminations. Toutes ces nouvelles habitudes de «mise en couple» imposent donc la révision des schémas familiaux traditionnels, ainsi que la mise en œuvre des conséquences fiscales et juridiques qui en découlent. Le temps est venu, et il y a urgence, de revoir la fiscalité et le droit de la famille, de façon globale et non au coup par coup, à l’aune des profondes modifications que connaît la structure familiale depuis le milieu du siècle dernier.
Je n’ai pas la prétention, en ces quelques lignes, d’aborder tous les sujets inhérents à cette évolution. Je me contenterai donc de l’évocation de quelques exemples qui démontrent les dysfonctionnements actuels, sans augurer des évolutions inhérentes à une éventuelle légalisation de la PMA (procréation médicalement assistée) et de la GPA (gestation pour autrui). Il est certain, en tout cas, que le travail du législateur doit se faire dans le respect de ce qui est l’essence même de la famille, je veux parler de la solidarité, qu’elle soit entre les générations ou entre les membres du couple.
Dans une société où l’espérance de vie est de plus en plus grande, un même individu peut simultanément être en situation de devoir une pension alimentaire à son ex-conjoint(e), de contribuer au paiement de l’Ephad de ses parents ou d’assumer les études de ses enfants, etc. Le poids de cette solidarité peut donc devenir extrêmement lourd et l’angoisse de ne pas y parvenir explique sans doute en partie les inquiétudes de nombreux Français sur l’évolution de leur pouvoir d’achat.
De l’équité fiscale
Cette solidarité intrafamiliale, qui n’exclut bien évidemment pas celle de la nation, passe inévitablement, si l’on veut que les individus l’acceptent et l’assument, par l’équité fiscale, selon un principe simple : celui qui verse une pension doit pouvoir la déduire de ses revenus, celui qui la reçoit doit l’ajouter.
Il est par exemple aberrant que, dans le cas de la résidence alternée, le parent qui verse une allocation compensatoire à l’autre parent afin d’équilibrer le niveau de vie des enfants, n’ait pas la possibilité de déduire les sommes versées de ses revenus et que le parent qui les reçoit n’ait pas à les déclarer.
Une autre solution consisterait à modifier les règles du rattachement fiscal afin que celui qui contribue le plus soit avantagé dans la répartition des parts. Sinon, on assiste à un appauvrissement du principal contributeur, ce qui peut remettre en question sa capacité à assumer les frais engendrés par l’éducation de ses enfants.
Par ailleurs, l’existence du foyer fiscal, mis en place dans une société où le mariage unique était la norme, perd de sa justification à une époque où la situation s’est complexifiée. En cas de remariage, la fiscalité de chacun des conjoints se trouve inévitablement impactée par la situation matrimoniale et parentale antérieure de l’autre. Il semblerait donc plus juste que chacun assume ses charges et ses revenus à travers une déclaration individuelle.
Autre problématique de solidarité dans le couple – mais aussi d’équité –, celle de la rente de réversion dont la répartition n’est proportionnelle à la durée de vie commune qu’en cas de mariage. Il faudra sans doute l’élargir. Un ou une pacsé(e) qui a vécu de nombreuses années avec le défunt n’a droit à rien, alors que l’ex-conjoint(e) d’un premier mariage de quelques années seulement, est bénéficiaire de la réversion.
Mais c’est sans doute sur la question du respect de l’égalité parentale que les efforts du législateur doivent porter. L’égalité entre les sexes passe aussi par l’égalité parentale, laquelle ne peut exister qu’à travers l’exercice d’une coparentalité la plus égalitaire possible. Etre parents implique des droits et des devoirs qui doivent être les mêmes pour l’un et l’autre.
Prestation compensatoire
Dans le cas du mode de résidence classique, le parent qui assume la part la plus grande de l’éducation se trouve pénalisé dans sa vie professionnelle et dans l’évolution de sa carrière. Actuellement, rien ne prévoit une quelconque compensation en prévision d’une retraite qui sera obligatoirement minorée. On pourrait envisager a minima que la prestation compensatoire, qui est dorénavant majoritairement versée en capital et dont l’objectif est justement de compenser la baisse de revenus à la retraite, soit obligatoirement soumise à des cotisations à la retraite, ce qui permettrait d’améliorer la future pension des parents gardiens.
Ces derniers, en très grande majorité des femmes, rencontrent aussi beaucoup plus de difficultés pour «refaire leur vie», ce qui explique le nombre important de familles monoparentales. Mais ce ne sont pas les seuls effets délétères de ce mode de garde. En juin 2018, la Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees) a publié une étude intitulée «Etudes, travail, logement : comment les enfants de parents séparés entrent dans l'âge adulte». «La séparation des parents, et notamment la conflictualité qu'elle peut impliquer, a des conséquences sur le devenir des jeunes», souligne le rapport, dans sa présentation liminaire.
L'étude de 2014 s'est intéressée au 1,4 million de jeunes adultes de 18 à 24 ans dont les parents sont séparés. «Résider chez un seul de ses parents distend les relations avec l'autre parent», indique le rédacteur, qui précise ensuite : «Un jeune sur quatre déclare ainsi ne plus avoir de relation avec son père.»
Peut-on tolérer que perdure un droit de la famille qui, dans son application, se traduit trop souvent par l'exclusion d'un parent ? D'autant qu'indépendamment du délitement du lien affectif, ces jeunes sont «moins souvent en études et que leur niveau de diplôme est souvent moins élevé que celui des jeunes dont les parents forment un couple», ce qui tend à prouver que cette «absence» d'un parent n'est pas sans conséquences, entre autres sur le parcours scolaire. D'autres études montrent aussi la plus grande difficulté d'insertion sociale des enfants de familles monoparentales et le coût social induit.
On voit donc que la question des pensions alimentaires non versées ne représente que l’une des difficultés rencontrées par les familles monoparentales et s’inscrit dans la problématique beaucoup plus large d’une nécessaire réécriture du droit de la famille.
Ce travail, rendu indispensable à la suite des bouleversements sociétaux de notre époque, devra respecter trois principes : définition claire des droits et devoirs dévolus aux différents membres de la famille, équité, solidarité. La crise des gilets jaunes et le grand débat national qui a suivi montrent bien, comme j’en ai eu depuis longtemps eu l’occasion de m’entretenir avec madame la garde des Sceaux, l’impérative nécessité d’une réforme en profondeur du droit de la famille et de sa fiscalité.