Tribune. Artistes, footballeurs, chanteurs, vous qui trouvez si adorables ces félins ou primates que vous prenez dans vos bras devant les objectifs des photographes, savez-vous que votre «arrêt sur image» les condamne davantage à les faire disparaître ?
Journalistes, photographes, rédactions de magazine, vous qui publiez ces articles et ces photos sans en mesurer les conséquences, savez-vous qu’en médiatisant ces cadeaux vivants faits aux people, vous contribuez au trafic international ?
Au-delà des nombreux selfies publiés sur les réseaux sociaux, la presse sportive française rapporte qu'à l'issue d'un match deux lionceaux ont été offerts au footballeur Bafétimbi Gomis par un prince saoudien pour honorer son surnom «La panthère». De même une photo de Gignac tenant un tigre dans les bras au prétexte qu'il joue au Mexique dans l'équipe des Tigres a été publiée sans même s'interroger sur les conséquences de ce cliché.
Espèces «en danger d’extinction»
En réalité, ces séduisantes boules de poils, photographiées à Paris, au Mexique ou à Dubaï, sont le plus souvent louées ou vendues illégalement par des cirques ou des zoos sans scrupule, avant de finir affamées et maltraitées. Quant aux chimpanzés, ils proviennent le plus souvent du braconnage, prélevés directement dans leur forêt, arrachés à leur mère.
Selon les catégories de l'Union internationale pour la conservation de la nature, les chimpanzés, les tigres et les lions en Afrique de l'Est et Centrale figurent parmi les espèces «en danger d'extinction». En Afrique de l'Ouest, les lions sont «en danger critique d'extinction», il en resterait moins de 5 000. Quant aux tigres, seulement 3 000 subsisteraient encore, libres, en Asie. Pour se procurer le bébé chimpanzé d'une photo «so cute», 10 ou 20 autres chimpanzés, dont sa mère et ses frères et sœurs plus âgés, ont probablement été tués, mangés pour leur viande, pratique illégale puisque l'espèce est intégralement protégée. Transportés dans des conditions odieuses, beaucoup de ces bébés primates vont périr avant même d'avoir atteint la grande ville voisine, plaque tournante des trafiquants internationaux. Les survivants subiront le manque d'affection maternelle, la promiscuité à circuler de bras en bras, la location pour des fêtes ou des anniversaires, avant de devenir des animaux puissants, non maîtrisables, désocialisés car n'ayant pas vécu avec leurs congénères. Ils finiront très probablement solitaires, dans des cages sordides peut-être jusqu'à la fin de leurs jours, c'est-à-dire pendant soixante-dix ans pour les chimpanzés, ou périront car trop coûteux à nourrir.
Ce lionceau saisi dans une voiture de location de luxe sur les Champs-Elysées, en novembre, souffrant de déshydratation et ayant la queue coupée illustre cette tragédie. Car l’avilissement animal n’est pas le propre des zoos privés que s’offrent de riches émirs. En 2018, dans des garages, des appartements et des jardins français, cinq autres petits fauves ont été saisis à Noisy, Champigny, Valenton, Marseille, ou au Havre. Pour une demi-douzaine de félins trouvés, combien vont croupir dans des hangars ?
Animaux dénaturés
En acceptant ces cadeaux et en publiant ces articles et ces photos dans la presse ou sur les réseaux sociaux, on laisse entendre aux braconniers qu’il existe une demande. On encourage le trafic et on condamne ces animaux à une fin tragique. D’ici vingt ans, il n’y aura peut-être plus de tigres, de lions ou de chimpanzés dans leur habitat naturel. Il n’est plus acceptable de se laisser séduire par la tendresse d’un bébé chimpanzé ou la grâce d’un jeune tigre en ignorant les conséquences des exhibitions fugitives de ces animaux dénaturés.
Le temps est venu de la lucidité et de la réaction. Il convient désormais de refuser d’être complice de ces photos dans la presse, sur les plateaux de télé ou sur Instagram et Facebook afin d’affirmer la dignité élémentaire que l’on doit à l’ensemble des animaux.
Faites honneur à vos surnoms, à vos clubs et à ces espèces emblématiques, refusez ces cadeaux et les reportages, participez à la sensibilisation, soutenez les programmes de préservation de ces espèces et de leur environnement : des équipes de terrain dans les parcs nationaux et des associations de protection de la nature se battent au quotidien et risquent leur vie pour qu’ils gardent leur liberté, dans leur savane et leur forêt. Vous pouvez les aider et les sauvez, il n’est pas trop tard.