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Libération
Chronique «Economiques»

Climat : parier sur le futur

Pour lutter contre le réchauffement climatique, des solutions sont proposées, on a même imaginé des actifs financiers. Une étude récente permet de rendre compte de leur efficacité.
Au New York Stock Exchange, en 2015. (Photo Don Emmert. AFP)
publié le 13 mai 2019 à 19h16

Si les civilisations savent qu’elles sont mortelles, la nôtre a ceci de particulier qu’elle identifie très clairement l’une des causes de sa possible disparition : le changement climatique est sans doute l’un des plus formidables défis qu’ait à relever l’humanité, pour la première fois confrontée à une menace globale dont on sait également qu’elle est due à l’activité humaine. Pourtant, les opinions qui se manifestent sont parfois très éloignées du consensus scientifique. Quelques positions expriment une vision bien plus catastrophiste, allant comme Fred Vargas jusqu’à annoncer la disparition de la moitié de l’humanité dans les quinze ans ; mais surtout, de multiples enquêtes indiquent qu’une part importante de la population, à travers de nombreux pays, nie la réalité même de la responsabilité humaine dans les bouleversements en cours et à venir. Qu’elles conduisent à l’élection de gouvernements qui expriment les mêmes dénégations, ou à des actions collectives protestant contre des politiques, comme la taxe carbone, qui pourraient pourtant contribuer à lutter contre cette menace, de telles croyances sont délétères. Il est donc de première importance de comprendre comment elles se construisent, se diffusent, et se manifestent chez les uns et les autres.

Par exemple, à travers l’achat ou la vente de certains actifs financiers, il est possible de parier contre le réchauffement climatique, mais cette possibilité se traduit-elle par de tels paris chez les traders ? L’intérêt d’une telle question est double. Comme la décision d’achat ou de vente d’un actif financier dépend des anticipations sur sa valeur future, l’observation de son prix renseigne sur les croyances des acteurs, et fournit une méthode complémentaire aux enquêtes pour étudier ces croyances, certes au sein d’une population particulière, mais dont les membres ont un intérêt direct à s’appuyer sur les prévisions les plus solides, puisque leurs gains ou pertes monétaires en dépendent. Et par ailleurs, justement comme le prix d’un actif financier est aussi un signal sur les changements futurs, et que ce signal conditionne les comportements des entreprises et des individus, il est important que ce signal soit le plus fiable possible. C’est la question que pose un article récent, qui confronte l’évolution du prix de certains titres financiers très sensibles à l’évolution du climat au consensus exprimé par la communauté scientifique internationale dans les différents rapports que celle-ci produit sur le sujet.

Les actifs en question sont échangés sur le Chicago Mercantile Exchange, et sont d’une nature particulière. Les détenteurs d’un tel actif recevront des paiements qui dépendent du nombre de jours de chaleur plus élevée que la normale en été, ou plus bas en hiver, dans huit villes à travers les Etats-Unis. Ces actifs peuvent être utiles pour réduire les risques de certaines entreprises, notamment les producteurs ou les distributeurs de climatisation ou de chauffage, car la température influence fortement leurs ventes. Ce sont, en somme, des titres financiers très directement liés à l’économie réelle, d’où l’importance que leur marché soit le plus efficient possible, et prenne en compte toute l’information fiable, mais seulement celle-là. Leur valeur fondamentale dépend des anticipations sur le climat dans six mois ; cet horizon plutôt court est à la fois une des limites et un des intérêts de l’étude : intérêt car cette perspective courte réduit la possibilité de mouvement spéculatif, qui pourrait éloigner le prix de marché de sa valeur fondamentale ; limite car il ne permet pas d’analyser les anticipations de moyen ou long terme sur le changement climatique.

L’analyse n’en reste pas moins intéressante, et montre que les mouvements du prix sont très proches des prévisions des modèles développés par les climatologues, surtout pour les pics de chaleur, mais aussi pour les périodes de grand froid. Au final, les anticipations des scientifiques sont bien prises en compte par les traders, le prix de marché intègre correctement les risques climatiques à court terme, et ce depuis le début des années 2000 lorsque ces marchés ont été établis.

A contrario des traders, les catastrophistes comme les climatosceptiques peuvent exprimer des croyances invraisemblables, puisque celles-ci n’ont pas de conséquences directes sur leur situation individuelle à court terme. Il en va hélas de même des dirigeants politiques, dont la volonté de se conformer aux opinions de leur électorat peut dominer l’intérêt à adopter les prévisions les plus sérieuses, et à mettre en œuvre les politiques fondées sur les connaissances scientifiques les plus fiables.

Cette chronique est assurée en alternance par Ioana Marinescu, Anne-Laure Delatte, Bruno Amable, Pierre-Yves Geoffard.