Emoticons et emojis : ce n’est pas la même chose
«Pensez aux emojis comme à un langage primitif, écrit Arielle Pardes, une journaliste de Wired. Ces petits caractères représentent le premier langage né à l'ère digitale, un langage conçu pour apporter une nuance d'émotion à un texte qui – sans emojis – resterait plat.» Avant les emojis, ainsi qu'elle l'explique, il y avait les emoticons (les «icônes émotionnelles») et leurs équivalents japonais (les kaomojis) faites de signes de ponctuation et qui permettaient sur les chats d'exprimer sans le dire son dédain ou son admiration. Pour le sarcasme, par exemple, on tapait ^-) Pour l'amusement ^_^ et pour la surprise o.O. On pouvait même signifier son incapacité à trancher ou l'ambivalence de ses sentiments en tapant le visage ¯_(ツ)_/.
Des symboles pour gagner du temps ?
Lorsqu'en 1999 Kurita créé les emojis, il s'y trouve seulement 5 visages car NTT lui demande des pictogrammes pratiques : une signalisation WC pour dire «Je suis aux toilettes», par exemple. L'image d'un parapluie ouvert pour «Fais attention, aujourd'hui il va pleuvoir». Une façon plus rapide de communiquer à l'ère de la messagerie dite instantanée ? Pas seulement. Quand un utilisateur écrit la phrase «Je comprends », il peut ajouter l'image d'un coeur, afin d'y ajouter plus de chaleur. Sans coeur, «Je comprends» serait sec, voire acrimonieux. Les emojis ne servent pas uniquement à gagner du temps : ils véhiculent les émotions débarrassées des sous-entendus qui accompagnent inévitablement la communication verbale. Le problème avec les mots, c'est qu'ils peuvent être mal interprétés. Ou maladroits. Ou insuffisants.
Souvent les mots nous manquent pour exprimer nos sentiments. Avec les images, au moins, le message passe. Aussi clair qu'un doigt d'honneur et qu'un sourire. Les emojis présentent l'avantage de donner «corps» au message et même si l'on peut s'énerver de maintenant voir partout ces smileys qui substituent à la pensée la gamme réduite de leurs expressions faciales, impossible d'en nier le pouvoir d'impact. Les emojis «font résonner le message à un niveau émotionnel plus profond», ainsi que le formule Naotome Watanabe, responsable de l'application LINE, une messagerie qui offre, depuis avril 2019, le choix entre 4,7 millions d'emojis. Sur LINE, 2,4 millards d'emojis sont échangés chaque jour (chiffres datés du 8 mai 2019).
LINE, l’app de messagerie instantanée n°1 au Japon
«Les emojis étaient devenus trop populaires pour qu'on les ignore, conclut la journaliste. Lorsqu'Unicode les intègre, elle en fait une forme de communication légitime.» En 2015, Vyv Evans, un linguiste britannique, affirme que «les emojis sont la forme de langage qui connaît la croissance la plus rapide de l'histoire du monde.» De fait, l'application japonaise LINE – qui en propose le plus grand nombre – a déjà envahi toute l'Asie et est en passe de détrôner What's App en Occident. Pourquoi ? Parce qu'elle propose aux utilisateurs de créer leurs propres emojis, afin que chacun – suivant sa culture, son univers de référence – puisse exprimer ses émotions dans sa propre «langue». Loin d'imposer aux autres pays des codes graphiques globaux, le Japon encourage le développement d'emojis «locaux», capables d'exprimer les émotions différemment et qui sait… capables aussi peut-être d'exprimer des émotions différentes.
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A LIRE : Le premier ouvrage académique, à ma connaissance, consacré aux emojis sortira aux éditions Routledge (en anglais) dans 3 mois. Emoticons, Kaomoji, and Emoji: The Transformation of Communication in the Digital Age dirigé par Elena Giannoulis et Lukas R. A. Wilde, Routledge, 9 août 2019.