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Interview

Maria Gravari-Barbas : «L’impression de fermeture du monde tient à notre façon de voir les choses»

Pour la géographe Maria Gravari-Barbas, les touristes actuels sont beaucoup plus conscients qu’auparavant des risques qu’ils encourent en voyageant.
(Lilly Darma / Flickr)
publié le 13 mai 2019 à 20h56

Spécialiste du tourisme, la géographe Maria Gravari-Barbas (Paris-I) a signé un Atlas mondial du tourisme et des loisirs avec Sébastien Jacquot (1). A ses yeux, si certaines destinations touristiques sont désormais inaccessibles, on assiste tout de même à un accroissement des espaces touristiques.

Le monde accessible aux touristes est-il en train de se rétrécir ?

Au contraire, on est dans une logique d’élargissement. La fermeture du monde à cause de conflits est compensée par l’ouverture de territoires nouveaux. Aujourd’hui, de nombreux pays, comme la Chine, envoient et accueillent de plus en plus de touristes. D’anciens pays en guerre se sont stabilisés et se positionnent comme de grandes destinations de voyage. On l’a vu au Cambodge, désormais très attractif. Aujourd’hui, on l’observe aussi au Timor oriental, où se développent des projets touristiques de grande envergure. Au sein même de chaque pays, l’élargissement touristique se confirme : les territoires proches de grandes destinations attirent à leur tour. A l’échelle des métropoles, banlieues et anciens espaces industriels patrimonialisés attirent désormais les touristes. C’est le cas à Londres, New York, mais aussi Pékin. Et le tourisme de mémoire se développe, en Pologne ou au Cambodge.

Peut-on tout de même parler de fermeture de certains espaces touristiques ?

Les zones aujourd’hui inaccessibles étaient rarement des destinations de premier plan par le passé, à quelques exceptions près comme la Syrie avec Damas et Alep. Des territoires comme le Sahel ont montré quelques signes d’ouverture, mais n’ont jamais été totalement stabilisés. Les touristes ont déserté pendant quelques années des pays touchés par des attentats ou considérés dangereux, tels que la Tunisie ou la Turquie. Mais le tourisme est un phénomène très résilient ! Après un temps de relative fermeture, les touristes reviennent. L’impression de fermeture tient surtout à notre façon de voir les choses, à nos représentations.

Comment l’expliquez-vous ?

Mobilité, accessibilité, transports : tout espace est aujourd’hui à portée de main. Savoir que l’accès est techniquement possible mais empêché par d’autres contraintes est difficile à admettre, surtout lorsque cela concerne des lieux auparavant accessibles, comme la Syrie. Dans le cas du Burkina Faso et de l’Afrique de l’Ouest, s’ajoutent pour la France la question postcoloniale et la façon dont nous nous représentons nos attaches avec ces territoires.

Le voyage a toujours eu sa part de risque. Comment a évolué le sentiment de sécurité des touristes ?

Nous sommes tous beaucoup plus conscients des risques que nous encourons en voyageant. Mais cette conscience ne nous fait pas toujours renoncer à la prise de risque. On retrouve la figure héroïque du voyageur des XVIIIe et XIXe siècles, qui va par exemple prendre des risques pour accéder à un territoire rêvé.

Nous faut-il prendre le risque de continuer à aller dans les zones qui vivent du tourisme pour soutenir l’économie locale ?

Difficile à dire. Cette question est liée à la façon dont chaque Etat évalue les risques : par exemple, les mises en garde prononcées par les autorités américaines sont très sévères. Dans de tels cas, il est tout à fait possible d’évaluer les risques en détail, d’éviter certaines régions mais de se rendre tout de même dans un pays. Il y a quelques années en Egypte, où une grande part de l’économie est fondée sur le tourisme, l’effondrement du secteur a représenté un choc majeur. Certes, le risque était alors important pour les visiteurs, mais il existe également dans les territoires dans lesquels nous vivons, comme à Paris avec les attentats de 2015.

Le coût écologique du tourisme n’est-il pas le meilleur argument pour limiter nos voyages ?

Peut-être, mais cela concerne les discours plus que les actes : le nombre de voyageurs progresse, y compris en Europe, et l’augmentation des mobilités internationales au cours des deux dernières années a été la plus forte depuis 2000.

(1) Editions Autrement, 2018, 24 euros.