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Blog «Humeurs noires»

Myriam Py, rondeur féminine

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Mannequin grande taille, elle pose devant l’objectif de photographes de mode parisiens. Sa trajectoire est une belle leçon de vie et d’acceptation de soi, dans ce nouveau monde où les femmes se réapproprient leur corps et leur destinée.
Crédit photo : Actuel Studio 3
publié le 13 mai 2019 à 22h24
(mis à jour le 14 mai 2019 à 9h48)

En l'espace d'un instant, Myriam Py 27 ans, se glisse lentement sur la petite banquette. Elle vient de me rejoindre au Colombus Café-Le Mans pour se rafraîchir les idées avec des cafés et des chocolats frappés. Le sourire en coin, elle me fixe du regard et moi je me questionne sur son secret pour traiter sa peau avec douceur et lui donner un tel éclat. Je lui explique le principe de l'entretien semi-directif dans lequel elle devra se livrer sur son parcours social afin d'éclairer les lecteurs sur son choix de carrière, qui révèle également son combat politique. Elle comprend le principe et les enjeux, j'enclenche le bouton de l'enregistreur et enfin débute l'interview. Née en France, de parents originaires de la Martinique, sa mère est aide à domicile et son père ouvrier, lui est technicien d'assemblage dans une usine. De sa fratrie composée de deux frères et deux soeurs, elle est le seul membre de sa famille à poursuivre des études supérieures en préparant un BTS MUC et se destine à une carrière d'entrepreneuse. « Mon projet serait d'ouvrir une agence pour mannequins ronds. La société ne propose pas beaucoup d'artistes grandes tailles, que ce soit à la télévision ou dans les autres canaux médiatiques. On n'a pas beaucoup de figures grandes tailles. Je pense que la France est grossophobe mais ce n'est qu'un avis personnel. »

Mannequin, Myriam Py, 1m 80, 93 kg a débuté sa carrière en 2015. Ses premières photos professionnelles lui ont permis de s'affirmer en tant que femme en assumant ses rondeurs et sa beauté non conventionnelle. L'exposition de son corps en lingerie a fait grand bruit dans son entourage dont elle a dû apprendre à s'affranchir des critiques. « Dès qu'une star a un peu d'embonpoint, elle doit faire un régime pour maigrir, elle est tout de suite stigmatisée ou parfois écartée ». Myriam Py raconte qu'au fil des ans, les supports photos lui ont permis de gagner en estime de soi, de monter en considération parce qu'elle sortait d'une relation amoureuse difficile et d'un épisode dépressif. Aujourd'hui elle sollicitée par des créateurs de mode parisiens. Elle collabore actuellement avec une créatrice transsexuelle qui l'a choisie comme modèle notamment grâce à son ouverture à la différence des autres. « Une autre agence m'a contactée pour incarner à l'image la femme noire forte, solide »

Myriam Py dès ses débuts fut influencée par le mannequin américain grande taille Ashley Graham, la première du genre à faire la une des magazines féminins prestigieux comme Vogue. En devenant l'égérie de marques telles que H&M ou les cosmétiques Revelon, Ashley Graham incite toute une génération de jeunes femmes à s'extraire des canons de beauté traditionnels. Myriam rappelle que la société médiatique en valorisant « La femme fine » est à l'origine des complexes qui blessent dans leur chair de nombreuses femmes ne s'acceptant pas telles qu'elles sont. « Ce sont vraiment le marché américain et les réseaux sociaux comme Instagram qui m'ont permis d'avoir accès à ce types de modèles. Cette nouvelle tendance est sortie tout droit des Etats-Unis ». Dans son ouvrage Le corps des femmes, la bataille de l'intime, la politologue Camille Froidevaux-Metterie souligne que la déferlante #MeToo, s'inscrit en réalité dans un mouvement de réappropriation par les femmes de leurs corps, dans ses dimensions les plus intimes. En libérant leur parole, elles s'affranchissent également des apparences et des normes esthétiques. L'actuelle miss France Vaimalama Chaves, qui réagissait face aux attaques au sujet de sa prise de poids déclarait « J'ai grossi mais ça me va ».

Myriam se rêve à l'avenir comme une influenceuse et pourrait porter sa parole sur la condition des femmes dans le champ politique, si l'opportunité se présente à elle. « Aux Etats-Unis nous avons beaucoup de modèles féminins pour nous représenter. En France c'est très récent que nous les femmes noires, on puisse s'assumer avec nos cheveux naturels et pousser les portes. Il est important que l'on puisse se dire que nous ne sommes pas inférieures aux autres même sans diplômes et sans qualifications. Nous pouvons nous aussi accéder à des postes de pouvoir. C'est encore très fragile, dans la musique par exemple nous avons des artistes comme Shay et Aya Nakamura mais il n'y a qu'elles comme exemple…

À ses heures perdues, il y a quelques années Myriam affinait son talent lors de sessions d’ateliers d’écriture de poésie. Puis elle est entrée en studio pour enregistrer une chanson et se serait sans doute lancée dans la musique, sa passion première, si elle avait eu plus confiance en elle. Aujourd’hui elle vit une histoire d’amour, affirme son image, sa féminité renouvelée par son combat et celui que d’autres femmes ont mené avant elle pour leur émancipation. Loin des mannequins et des beautés standards, Myriam, fille des îles, se donne au regard engagé des photographes de mode émergents.

1992 : Année de naissance de Myriam Py

2015 : Début de carrière de mannequin grande taille

2019 : Préparation du BTS MUC