Dans l'une de mes dernières chroniques, je confiais, face à la désolation ambiante, avoir besoin de rire un peu, si bien que des lecteurs attentionnés m'ont indiqué diverses pistes destinées à me dérider. C'est ainsi que j'ai découvert le compte @exrelou qui recense, via Instagram, les échanges de textos les plus déjantés entre des gens qui ont eu jadis ou naguère un lien amoureux, enfin appelons-le comme ça. Ces messages post-rupture minimalistes ont pour caractéristique première de refuser la rupture, justement, et de crier haut et fort leur colère, leur chagrin ou leur déni. Le refus de rompre a quelque chose de particulièrement spectaculaire quand celui qui s'accroche est à l'origine de la séparation : il vous a agoni d'injures à longueur de textos puis, quand votre silence prend acte de la rupture, vous inonde de «pourquoi tu m'as bloqué ?» et de «garde-moi, je t'en supplie», craignant par-dessus tout de se faire ghoster. Si l'on osait risquer un parallèle politique, la Grande-Bretagne en serait le modèle bipolaire, pathétique en ex repentie qui ne trouve pas le panneau «Exit».
Certes, il n’y a rien là de bien nouveau et les cinq lettres qu’en 1668 la religieuse portugaise envoya à son amant envolé témoignaient déjà d’une forme d’obstination face à la réalité de l’histoire finie - relou, la religieuse.
Mais à l’ère Houellebecq, le poème 2.0 s’épure façon haïku : «- Je sais que nous construirons notre vie tous les deux. - Stop, je t’ai dit non. - Tu verras.» Ou encore : «J’ai mal fait ces dernières années mais ça va mieux, je t’assure, je suis devenue une nouvelle personne que j’aimerais te présenter.» Plus généralement, dans notre vie en prose, quelle fille n’a pas reçu à 3 heures du matin le texto aviné d’un Bernard disparu des radars trois ans plus tôt, lui criant sa flamme intacte sans même imaginer qu’elle ne sait seulement plus qui c’est. #gênance.
Mutatis mutandis, c'est un peu ce que j'ai ressenti en février quand, rentrant chez moi dans le XXe, j'ai aperçu sur une palissade l'affiche démultipliée du mouvement Génération·s avec la photo de Benoît Hamon et, écrit en gros sur fond vert espérance : «L'espoir revient». J'aurais découvert «Camille je t'aime» tagué en rose fuschia sur le mur d'en face en ouvrant mes volets, je n'aurais pas été plus mal à l'aise. Pourtant, un vieux reste d'affection m'a alors presque fait oublier le ratage monumental (6,4 %) qui avait conduit à notre séparation.
Il n’y a pas que les chiffres, après tout, me disais-je («L’important, c’est les sentiments, pas les centimètres» revendique un ex relou). Et puis, quand même, ça impressionne, un tel refus de lâcher l’affaire. L’espoir revenait, donc, quand j’ai appris que Aurore Lalucq, sa propre porte-parole, venait de le quitter pour Raphaël Glucksmann. J’avoue, ça m’a fichu un coup : pas très sexy, l’ex que tout le monde lâche tout le temps. Du coup, j’ai eu envie de lui textoter : «De battre mon cœur s’est arrêté. PS : c’est mort», mais je n’ai pas son numéro. Et puis ce serait moi, la relou ; quelquefois, le silence s’impose. Bon, au PS, les ex relous, ils connaissent. François Hollande a le pompon - à croire qu’il ne se souvient pas combien le divorce a été rude. Ou qu’il veut continuer à être sur la photo, fût-ce avec ses ennemis. Notre ex-président, qui répand la bonne parole à tout va, me fait penser à ce texto sublime, en vedette sur Instagram : «Bonjour, je suis l’ex de ta femme. Elle te parle de moi, parfois ? Si tu veux prenons un café, j’ai peut-être des conseils à te donner.»
Cela dit, à droite, les has-been qui la ramènent ne sont pas en reste. Nicolas Sarkozy, champion toutes catégories des ex relou avec son fameux : «Si tu reviens, j'annule tout», prodigue aussi largement ses conseils à son successeur, qui «n'en retient aucun», précise-t-il. C'est la loi du nouveau que de reléguer l'ancien - dura l'ex sed l'ex. Le pire, ce sont les ex qui ne sont pas au courant qu'ils sont hors-jeu. «Tu ne veux plus de moi ? Mais tu te trompes !», signé Jean-Luc. Ou Manu. Pour en revenir au PS, les sympathisants ont tous reçu sur leur écran cette question anxiogène : «Vous nous avez aimé un jour, nous aimez-vous toujours ?» Relou, forcément relou, même si la forme interrogative atténue le côté boulet. C'est toujours mieux que ce SMS reçu un jour : «Tu m'as dit que tu m'aimerais toute ma vie, maintenant t'assumes.» Enfin, avec tous ces ex, pour qui je vais voter le 26, moi ? C'est qui, le prochain ? Ou le futur ?
Cette chronique est assurée en alternance par Thomas Clerc, Camille Laurens, Tania de Montaigne et Sylvain Prudhomme.