Il y a quinze ans, dans un parc à Pékin, j’ai vu une poubelle avec un côté bleu pour les déchets recyclables et un côté jaune pour le reste. J’étais ravie que la Chine se mette au recyclage… Jusqu’à ce que je réalise que les deux côtés menaient au même sac. Tous les déchets finissaient au même endroit, et le recyclage n’était qu’une promesse. J’ai toujours voulu croire que c’était une mesure temporaire pour éduquer le peuple à trier ses déchets en attendant que l’organisation logistique du tri soit en place. Et de fait, le tri des déchets est opérationnel en Chine aujourd’hui.
J’irai voter dimanche prochain avec le même sentiment. Les élections du Parlement sont un entraînement à la démocratie pour les citoyens européens. Non pas que tous les partis se ressemblent, loin de moi ce postulat nauséabond, mais le pouvoir politique du Parlement européen n’en est encore, au mieux, qu’au stade de promesse.
On peut bien nous faire toutes les promesses de campagne sur une Europe verte ! Le fait que son Parlement ne soit pas souverain sur le montant du budget limite complètement sa capacité à mener un agenda vert en Europe. En effet, les recettes qui définissent le montant du budget sont négociées entre les gouvernements. Le Parlement n’est saisi que pour amender et voter la partie des dépenses, une fois que le montant a été déterminé par les gouvernements. Or, le budget détermine la capacité à financer des mesures pour mener un agenda politique. Financer des dépenses pour lutter contre le réchauffement climatique, comme investir dans les modes de transports publics verts, la production d’énergie verte. C’est une anomalie dans les régimes démocratiques. Les Parlements sont généralement souverains sur les recettes autant que les dépenses afin d’exercer un véritable pouvoir politique. Bref «en Europe, on n’a pas de budget mais on a des idées» ne me convainc pas complètement…
Un corollaire à cette forme tronquée de gouvernance est qu'il n'y a pas vraiment de transparence sur le budget européen. Il faut être un sacré europhile pour suivre les discussions du «cadre financier pluriannuel» de l'UE, le nom officiel du budget européen. A l'inverse en France, l'établissement du budget est un élément central du débat public depuis le XIXe siècle (1). Il dépasse largement le cercle des parlementaires et est discuté et analysé dans la presse. A quoi sert la transparence me direz-vous ? Certains affirment que c'est le terreau de la confiance…
D'autre part, les députés que nous élirons dimanche ont une influence quasi nulle sur les décisions économiques qui impactent directement et parfois violemment la vie quotidienne des Européens. Ces décisions économiques sont liées à la surveillance des budgets nationaux dans les 19 pays sur 28 qui ont adopté la monnaie unique. Combien de fois avons-nous entendu que telles dépenses publiques ne peuvent être engagées car nous devons respecter les traités ! Or, les règles se sont durcies depuis 2011. Une procédure de surveillance et de coordination des politiques économiques a été adoptée avec la mise en place du «semestre européen», la procédure de déficit excessif, les programmes d'actions des gouvernements incluant une liste de réformes structurelles. Il existe maintenant un véritable gouvernement économique de la zone euro comme le démontrent clairement Guillaume Sacriste et Antoine Vauchez (2). Et ce gouvernement économique pose un cadre contraignant sur les politiques économiques nationales. Or, Sacriste et Vauchez nous font remarquer que le Parlement européen n'est destinataire d'aucun document clé dans la procédure. Les députés européens ne reçoivent ni les programmes nationaux de convergence, ni les programmes de stabilité, ni les projets de budget que les Etats-membres envoient à la Commission européenne. Autant dire que les députés européens ont une influence plus que limitée sur la politique économique.
Et pourtant, j’irai voter dimanche. D’une part, parce que ma grand-mère, qui n’a acquis le droit de vote qu’à 35 ans, m’a fait promettre de ne jamais m’abstenir. D’autre part, parce que l’abstention sera interprétée comme un désintérêt des questions européennes. Enfin, dimanche, je m’entraînerai à exercer mon rôle de citoyenne européenne. Ainsi, quand la gouvernance européenne sera devenue vraiment démocratique, nous serons prêts (3). Mais il ne faudrait pas que cela tarde trop quand même car à force, on n’y croira plus au sac bleu et au sac jaune…
(1) Le Bon Gouvernement, de Pierre Rosanvallon, Le Seuil, (2015). (2) «L'Euro-isation de l'Europe», de Guillaume Sacriste et Antoine Vauchez, la Revue de l'OFCE, n°165, (2019). (3) Changer l'Europe, c'est possible ! de Manon Bouju, Lucas Chancel, Anne-Laure Delatte, Stéphanie Hennette, Thomas Piketty, Guillaume Sacriste et Antoine Vauchez, Le Seuil, (2019).
Cette chronique est assurée en alternance par Pierre-Yves Geoffard, Anne-Laure Delatte, Bruno Amable et Iona Marinescu.