A l’approche de la prochaine échéance électorale, l’Europe suscite des débats passionnés, qui ne rendent pas toujours justice à la complexité des sujets abordés. Il en va ainsi des grands défis que l’Europe doit relever : transition écologique, nouvelles règles du commerce international, révolution numérique ou encore évolution de la sécurité internationale. C’est également le cas lorsqu’il est question du fonctionnement de l’Europe et de ses processus décisionnels.
Dans ce contexte, l’exemple du spatial est éclairant à plusieurs titres. En illustrant les réalisations et le fonctionnement de l’Europe, en mettant en lumière ses réussites sans pour autant occulter ses difficultés, le spatial raconte l’histoire de notre continent au cours de ces deux dernières décennies. Il en dresse au final un tableau tout en nuances mais largement positif, qui incite à l’optimisme et à l’ambition pour l’avenir.
Le citoyen européen au cœur du jeu
Le spatial, c’est d’abord l’Europe des réalisations concrètes au service du citoyen. Alors que le premier âge spatial était marqué par des considérations stratégiques et de prestige, on pense évidemment au choc Spoutnik et à la course à la Lune entre les Etats-Unis et l’Union soviétique, l’Europe a très tôt été la pionnière de l’espace utile. Les deux programmes phares de l’Union Européenne, Galileo pour la navigation par satellites et Copernicus pour l’observation de la Terre, permettent la fourniture de services quotidiens pour des centaines de millions d’utilisateurs européens. Trouver son chemin dans les dédales des rues de Rome, anticiper les conséquences d’une crue du Danube, détecter une marée noire en mer Egée ou permettre une sylviculture durable en Finlande, autant d’activités qui seraient impossibles sans les satellites européens. De la même manière, les expériences scientifiques conduites par l’Agence spatiale européenne à bord de la station spatiale internationale ont des retombées terrestres directes, notamment dans le domaine de la recherche médicale.
L’Europe spatiale, c’est aussi des prouesses scientifiques permanentes, qui permettent de maintenir les universitaires, les chercheurs, les industriels européens au meilleur niveau mondial. Le formidable voyage de la sonde Rosetta, qui a déposé l’atterrisseur Philae sur la comète 67P/Tchourioumov-Guérassimenko après un périple de douze ans ; l’atterrissage sur Mars de la mission SEIS-Insight fin 2018, lancée par la Nadsa avec un instrument fourni par le Cnes ; les télescopes spatiaux Herschel et Planck, qui ont permis la découverte de nouvelles galaxies, sont autant de cartes de visite d’une Europe pionnière.
Enfin, l’Europe spatiale, c’est aussi des dizaines de sociétés de très hautes technologies, des marchés d’avenir et donc des leviers de croissance et d’innovation pour les économies du continent. C’est en Europe qu’est né le concept du spatial commercial dans les années 80, en créant un marché des services de lancement de satellites avec Arianespace et un marché de l’imagerie satellitaire avec Spot Image. Les acteurs industriels européens qui produisent les lanceurs Ariane et Vega mais aussi des satellites de télécommunications et d’observation de la Terre, font partie des leaders mondiaux dans leurs domaines. Ces activités représentent des dizaines de milliers d’emplois européens, hautement qualifiés et non délocalisables.
Quand complexité rime avec efficacité
Ces réalisations tangibles ne sont néanmoins pas tombées des étoiles : elles ont nécessité une ambition politique commune et un cadre institutionnel adapté pour voir le jour. De prime abord, le paysage institutionnel du spatial européen paraît aussi déstructuré que la face cachée de la Lune. Comment associer dans un même projet politique des Etats européens aux ambitions et aux stratégies spatiales très différentes, une organisation intergouvernementale, l’Agence spatiale européenne et l’Union Européenne dans toute sa complexité institutionnelle ?
On touche là au cœur de ce qui constitue l’identité européenne : la construction patiente, minutieuse, parfois conflictuelle, d’un consensus. Ce processus, loin de conduire à une dilution des ambitions, est au contraire le garant de la solidité des engagements européens, puisqu’il prend en compte tous les intérêts exprimés. C’est exactement de cette façon que s’est construite l’Europe spatiale, jusqu’à en faire aujourd’hui la seconde puissance spatiale au monde derrière les Etats-Unis.
Il a d’abord fallu trouver un cadre politique permettant à l’Union européenne et à l’Agence spatiale européenne, deux institutions très différentes dans leurs règles de fonctionnement, leurs objectifs et leurs compositions, de travailler main dans la main. De la signature d’un accord-cadre en 2004 à l’adoption d’une stratégie spatiale européenne en 2016, en passant par la mise en place d’une compétence partagée entre l’Union et ses Etats membres dans le traité de Lisbonne, le chemin a été long et tortueux.
Il a ensuite fallu négocier les bases juridiques permettant la mise en œuvre des programmes spatiaux européens, à l’Agence mais surtout au sein de l’Union. La réussite des programmes Galileo et Copernicus n’était pas acquise il y a dix ans, tant les controverses politiques étaient vives quant à la nécessité même de doter l’Union d’un programme spatial. L’idée a pourtant fait son chemin, pas à pas, et l’Union propose aujourd’hui un programme spatial de 16 milliards d'euros pour la période 2021-2027, en augmentation de près de 50% par rapport à la période précédente, afin de pérenniser les efforts initiaux.
Loin d’être un processus bureaucratique stérile, cette approche a progressivement permis de dessiner les contours d’une identité politique européenne dans le spatial. Ses piliers en sont l’autonomie stratégique, qui permet d’accéder à l’espace et d’en tirer les bénéfices sociaux et économiques ; l’engagement pour l’environnement et le climat, notamment au travers du programme Copernicus qui est unique au monde ; la volonté permanente d’innover, grâce à un effort important de recherche et développement. Tous ces thèmes font largement écho aux défis politiques plus larges auxquels doit faire face l’Europe.
Le laboratoire de l’Europe de demain
En plus de livrer une grille de lecture de ce que peut faire l’Europe d’aujourd’hui, le spatial préfigure ce que pourrait être l’Europe de demain. Deux pistes méritent d’être mises en relief dans ce contexte. Au plan économique d’abord, l’Europe spatiale a toutes les cartes en main pour susciter l’émergence de nouveaux leviers de croissance. Le spatial est ainsi au cœur de la révolution numérique, en tant que pourvoyeur de données, qui permettent en retour le développement de nouveaux services basées sur les applications spatiales. Au plan politique ensuite, l’Europe spatiale est à la pointe du processus d’approfondissement de la construction européenne dans le respect des spécificités nationales, notamment dans le domaine de la sécurité. En s’engageant dans la voie des communications gouvernementales sécurisées avec l’initiative GovSatCom, ou encore dans la surveillance de l’espace. Ces efforts sont certes encore balbutiants et se heurtent à des difficultés politiques réelles mais ils tracent néanmoins un chemin qui sera fidèle à l’idéal européen.
L’espace donne ainsi la vision d’une Europe bien différente de celle qui est parfois caricaturée en expérience bureaucratique et désincarnée. L’Europe spatiale est une Europe des projets, une Europe des citoyens, une Europe de l’ambition et de la réussite. Et surtout l’espace montre à quel point l’Europe est indispensable !