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Blog «Ma lumière rouge»

Y a t'il réellement un "effet Zahia"?

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Quand la police et les prohibitionnistes stigmatisent (encore et toujours) les travailleuses du sexe
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publié le 22 mai 2019 à 17h48

Bizarrement, depuis la pénalisation des clients, les chiffres sur la traite des êtres humains et l’exploitation des mineurs battent des records. Interrogés par la presse, les représentants de la police et de la justice parlent de «proxénétisme des cités» et «d’effet Zahia». En cause, l’image positive que renverrait la jeune actrice du travail sexuel qui inciterait beaucoup d’autres jeunes femmes à «tomber dans le piège de la prostitution».

Bien qu’ils se défendront de vouloir la cibler elle personnellement, après tout elle est censée être une victime comme toutes les putes, le fait que l’actrice Zahia Dehar réussisse parfaitement sa reconversion professionnelle et assume parfaitement son passé (très bref) d’escorte, contredit toutes les représentations prohibitionnistes qui parient sur l’interdiction et la stigmatisation comme moyens de prévenir et empêcher les plus jeunes à exercer un travail sexuel.

Comme toujours, aucune réflexion ni solution ne sera apportée aux problèmes de précarité des étudiantEs et des jeunes des classes populaires. Ce serait leur naïveté et méconnaissance qui seraient responsables de leur «entrée dans la prostitution», un «système» qui nous placerait définitivement, et à vie, dans un autre monde.

Zahia Dehar, comme toute ancienne travailleuse du sexe, connait bien ce principe puisqu’elle est toujours désignée comme «ancienne escorte» à chacune de ses interviews et apparitions médiatiques. Mais plutôt que de se morfondre dans la honte, elle a développé un discours féministe de plus en plus construit contre cette stigmatisation. Aujourd’hui, elle est la vedette d’un film qui suscite beaucoup de commentaires sur le thème du «slut-shaming».

CertainEs penseront que revendiquer le fait d’être une «fille facile» et sexuellement libre est très basique, d’autres diront même que cela n’a rien de féministe en soi. C’est pourtant une thématique centrale dans les luttes contemporaines et un des premiers messages des slut-walks ou de certaines marches MeeToo: arrêtons de stigmatiser et de punir les femmes quoi qu’elles fassent de leur corps et sexualité.

Ce message est néanmoins en partie en contradiction avec le courant abolitionniste du féminisme qui veut imposer une exception en ce qui concerne le travail sexuel. En effet, peu importe qu’une femme soit mineure ou majeure, son consentement au travail du sexe est nié, et si elle prétend ne pas être traumatisée par cette expérience, comme le fait Zahia Dehar, et tant d’autres, elle devient alors une cible, désignée complice des proxénètes, et coupable de «normaliser» les pires atrocités à coup d’amalgames et de mensonges.

Non, l’exploitation sexuelle des mineurs et le travail forcé dans l’industrie du sexe ne sont pas la conséquence d’un «effet Zahia» qui n’a aucune responsabilité dans l’échec de nos politiques publiques. Les travailleuses du sexe qui refusent de s’identifier comme victimes par essence ne sont pas coupables d’inciter d’autres à prendre les décisions qu’elles souhaitent ou des abus qui existent dans l’industrie du sexe.