Tribune. Préférez-vous le non-dit ou le mal-dit ? Une question posée lors d'un voyage en voiture. Un bref silence lui a succédé dans l'habitacle. Puis chacun des passagers a exprimé son opinion. Le non-dit minoritaire. J'ai reposé la question dans un bistrot. Un rade populaire avec toutes sortes d'individus. Sans frontières de classes sociales ou de faciès. Le mal-dit toujours largement majoritaire.
Les élections. J’ai refusé de les suivre. Même pas la lecture d’un entrefilet. Dès qu’un homme ou une femme politique ouvre la bouche, j’ai tendance depuis quelques années à fermer les oreilles. Votant en touche depuis pas mal de temps. Avec l’habitude d’une irrépressible culpabilisation «post-électorale» de certains votants. Dont plusieurs amis. La plupart sincèrement inquiets pour la démocratie. Et ils ont raison.
Si tu n’as pas voté, tu n’as pas le droit d’ouvrir ta gueule et critiquer. Une réplique fréquemment assénée. Parfois d’ailleurs par des votants critiques – avant de voter – sur leur candidat. Un vote souvent contre. Ce pis-aller électoral qui a dévoyé l’acte de voter. Désolé, ai-je répondu à un vieux copain ; pas parce que je ne vote pas que je ne m’exprimerai pas. L’abstentionniste n’est pas un sous-citoyen. Certains d’entre eux se foutent complètement de la politique. Et c’est tout à fait leur droit. Même si je crois qu’ils font une erreur à ne pas s’y intéresser du tout. Et il y a tous les autres qui ne se désintéressent pas de la politique. Mais des politiciens.
Ont-ils tort ? Suffit d’assister à la ronde des égopolitiques sur les plateaux télés pour changer de chaîne. Quels sont les pires ennemis de la politique ? Les plus puissants parmi les politiciens. Notamment ceux qui te culpabilisent de faire le jeu de l’extrême droite en espérant qu’elle engrangera assez de voix pour la battre au second tour. Pas un scoop. Des années avec le même scénario réécrit à chaque élection. Combien de saisons de la série «vote barrage» ? Des millions de gens se sont lassés d’une saga impasse.
La démocratie est en danger. Marianne a de plus en plus de mal à respirer entre les bruns nationalistes et les intégristes religieux. Elle aurait besoin de reprendre un peu d’air. Gambader dans les rues et les champs dans la tenue de son choix. Sans qu’un abruti calcule la taille de sa jupe ou la blancheur de son visage. Ni la francité de son prénom. La réalité est autre.
Le vote d’extrême droite semble une sorte de «mal-dit». Mais avec un vrai ressenti. Pas tous des fascistes. Même si une minorité rêve d’une France blanche-blanche-blanche. Alors que l’abstentionnisme serait un «non-dit». Difficile de définir cet indicible si protéiforme. Comme une sorte de secret de famille hexagonal. Des millions de fantômes muets de la République. Jamais très bon ce qui est retenu dans l’obscurité. En général ça finit par imploser.
Mettre le vote blanc dans le camp du «dire» peut faire office de soupape. Un des moyens de ralentir l’ébullition dans la cocotte-minute française et européenne. Histoire de gagner un peu de temps pour réfléchir et agir. Essayer de trouver ensemble et individuellement des solutions. Pour que le non-dit et le mal-dit ne deviennent pas la parole majoritaire.
Marianne a d’autres choses à dire.