Le film fait partie de la section «Femme nue» qui rassemble des fictions et des documentaires en libre-accès sur le site de KuB (1) avec un point commun : questionner l'influence des images mainstream du corps. Ces images, pour citer Bernard Noël (2), font du corps un objet toujours neuf, toujours beau et «paupérisent le désir en le stylisant.» Comment se définit-on quand on ne colle pas avec les canons de beauté ? Comment faire pour surmonter la détestation de soi ? Dans le film Nue, la réalisatrice Catherine Bernstein apporte une réponse très personnelle : chaque jour, un homme lui «réapprend à être un tout», dit-elle. Bien sûr, cela prend du temps. Les jours gris, elle voit encore les coutures de son corps, qu'elle considère comme un étranger. «Mais les jours clairs, j'arrive à accepter le tout.»
Le mot blason, au Moyen Âge, désigne le bouclier décoré d'emblèmes qui permet d'identifier un chevalier (2). Lors des tournois, un orateur «blasonne», c'est-à-dire qu'il «déchiffre les armoiries figurant sur l'écu du chevalier qui entre en lice, de façon à le présenter avantageusement au public.» L'orateur doit rendre compte des faits d'armes héroïques qui légitiment le blason : il s'agit de décrypter les symboles héraldiques sur un mode laudateur. En 1535, la ruse de Clément Marot (1496-1544), grand prescripteur de modes sous le règne de François 1er, c'est d'appliquer le mot blason à un poème qui énumère les beautés physiques d'une femme, réduite à une partie de son corps. Le sein par exemple. Ce qui donne…
«Tétin refaict, plus blanc qu'un oeuf / Tétin de satin blanc tout neuf / Tétin qui fait honte à la rose / Tétin plus beau que nulle chose». Le succès du «Beau tétin » est immédiat. De nombreux blasons commencent à circuler : blasons du nez, des yeux, du cerveau, de l'oreille, du con, du cul ou de la dent… Chaque poète tente de se distinguer. En préface de l'ouvrage Blasons anatomiques du corps féminin –réédition des premiers recueils du genre–, Julien Goeury décrit ce «phénomène de mode sans précédent» : «Dans les années qui suivent [1535], de nombreux poètes, souvent proches de la cour de François Ier, se prêtent à cette dissection mentale et détaillent le corps féminin pour faire l'éloge de chacune de ses parties - des cheveux au pied, de la gorge à la cuisse et jusqu'au sexe.»
Du blason à la doublure fesses
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NUE un film de Catherine Bernstein (2009 - 8').
A LIRE : Blasons anatomiques du corps féminin. Et contreblasons. Établissement du texte, présentation, notes, dossier, répertoire, chronologie et bibliographie établie par J. Goeury. Garnier-Flammarion, 2016, 291 p., 12 euros
NOTES
(1) KuB –Kultur Bretagne– est un media citoyen favorisant la production audiovisuelle mais surtout la diffusion, sur Internet, de films qui –autrement– ne seraient vus par personne : il s’agit de défendre la culture sous toutes ses formes, y compris la culture cul. Sur KuB, on peut donc trouver des films intitulés «J’ai dit oui aux monologues du vagin» ou «La vie sexuelle de Peter Pan».
(2) L'Outrage aux mots, de Bernard Noël, POL, 1990.
(2) Le blason d’abord réservé aux chevaliers (XIIe siècle), se répand rapidement dans l’ensemble de la société : clercs, nobles, bourgeois, paysans, corporations, villes puis pays se dotent d’armoiries.