Tribune. Depuis le 18 mars et le début de la mobilisation à l'hôpital Saint-Antoine, le mouvement de grève dans les services d'urgence ne cesse de s'étendre. Des services parisiens, il a progressivement gagné de nombreuses villes comme Lyon, Limoges, Mulhouse, Nantes, Strasbourg, Angers, Saint-Nazaire, Toulouse, Rennes, Annecy, etc. Le collectif Inter-Urgences, à l'origine de cette grève, estime aujourd'hui à plus de 75 le nombre de services mobilisés. L'analyse que fait la ministre de la Santé du mouvement est, volontairement ou non, erronée. Affirmer, comme elle a pu le faire lors d'une interview sur la Chaîne parlementaire, que «ce ne sont pas les conditions de travail qui ont déclenché la grève», mais des enjeux relatifs à la sécurité revient à nier la corrélation évidente des deux phénomènes. L'intensification du travail, le manque de personnel, l'inadaptation des locaux exacerbent les tensions et dégradent la qualité du travail et des prises en charge.
Les urgences ont toujours été un service source de tension, de fatigue physique et morale pour des soignant·e·s confronté·e·s directement à la misère du monde. Mais cette grille de lecture est loin d’être suffisante. Les années qui viennent de s’écouler ont vu l’aggravation des conditions de travail du fait d’une médecine de ville insuffisamment structurée, du fait de modes de financements absurdes poussant à faire toujours plus avec toujours moins, du fait aussi d’une précarisation grandissante. Rappelons qu’au cours des vingt dernières années, le nombre de passages aux urgences est passé de 10 millions à 20 millions pendant que le nombre de personnes pauvres augmentait lui de 50 % voire, selon les chiffres, 60 % (Observatoire de la pauvreté). Ces chiffres ne sont pas sans lien. Les urgences sont ce lieu qui reste lorsque tous les autres ferment leurs portes.
Sans nier les nécessités du temps long et de la restructuration du système de santé, il importe d’apporter une réponse immédiate. Oui, l’hôpital ne peut être le lieu unique et central du système de soin, oui, les urgences assurent aujourd’hui des prises en charge qui pourraient relever d’autres structures. Mais dans quel état sont ces structures ? Et comment faire face à l’urgence ? Refonder le système prend du temps, et les soignant·e·s et les patient·e·s n’ont déjà que trop attendu. L’augmentation des salaires, le paiement des heures supplémentaires, le recrutement de soignant·e·s, l’arrêt de la fermeture des lits dans les autres services constituent des mesures inévitables pour ces services en surchauffe, afin d’enrayer une spirale dont les effets dramatiques sont appelés à s’amplifier.
Au moment où sont annoncés des investissements massifs dans des secteurs comme la génomique ou l'intelligence artificielle, il serait salvateur de ne pas oublier celles et ceux qui dispensent quotidiennement des soins moins auréolés de prestige mais non moins nécessaires et remarquables. Car ce sont elles et eux qui sont aussi confronté·e·s à des populations de plus en plus précarisées et délaissées. Nous leur apportons notre plein soutien, invitons les responsables politiques à écouter avec respect les actrices et acteurs de terrain et à prendre les mesures concrètes et immédiates qui s'imposent. Car, contrairement à ce qu'affirme la ministre de la Santé, s'«il n'y a pas de solution miracle», il y a des solutions. Mais elles impliquent des choix forts supposant de délaisser les réflexes orthodoxes de son gouvernement.
Signataires : Pierre-André Juven sociologue, CNRS Fanny Vincent sociologue,CEET-Cnam Frédéric Pierru sociologue, CNRS Thomas Porcher Economiste, PSB Julia Cagé économiste, Sciences-Po Thomas Piketty économiste, EHESS Mathilde Larrère historienne, université de Créteil Dominique Memmi sociologue, CNRS Lucas Chancel économiste, Sciences-Po Aurélie Trouvé économiste, Agro-ParisTech Jean-Paul Gaudillière historien, Inserm-EHESS, Catherine Bourgain Généticienne et sociologue, INSERM , Déborah Ridel Sociologue, Université de Lille , Ivan Sainsaulieu Sociologue, Université de Lille , Romain Pudal Sociologue, CNRS , Claire Beaudevin Anthropologue, CNRS , Ludivine Balland Sociologue, Université de Nantes , Benjamin Lemoine Sociologue, CNRS , Corine Eyraud Sociologue, Université Aix-Marseille , Jean-Paul Domin Économiste, Université de Reims Champagne-Ardennes , Philippe Batifoulier Économiste, Université Paris 13 , François-Xavier Dudouet Sociologue, CNRS , Martine Kaluszynski Historienne et politiste, CNRS , Bénédicte Fischer Juriste, Université de Grenoble , Julie Gervais Politiste, Université Paris I, Mustapha El Miri Sociologue, Université Aix-Marseille , Maurice Cassier Sociologue, CNRS , Martin Thibault Sociologue, Université de Limoges , Pascal Martin Sociologue, CERMES3 , Fanny Jedlicki Sociologue, Université du Havre , Fanny Darbus Sociologue, Nantes , Marine Al Dahdah Sociologue, IFRIS-CERMES3 , Michel Pialoux Sociologue, EHESS , Matthieu Hély Sociologue, Université Versailles Saint-Quentin , Willy Pelletier Sociologue, Université de Picardie , Christophe Voilliot Politiste, Université Paris-Nanterre , Frédéric Neyrat Sociologue, Université de Rouen , Nicolas Belorgey Sociologue, CNRS , Samuel Bouron Sociologue, Université Paris-Dauphine , Ruggero Iori Sociologue, CEET/Printemps , Christian de Montlibert Sociologue, Université de Strasbourg , Odile Henry Sociologue, Université Paris 8 , Artemisa Flores Espinola Sociologue, CRESPPA , Sabine Montagne Sociologue, CNRS , Olivier Cousin Sociologue, Université de Bordeaux , Vincent-Arnaud Chappe Sociologue, CNRS , Pascal Depoorter Sociologue, Université de Picardie , Karel Yon Sociologue, CNRS , Maxime Quijoux Sociologue, CNRS , Mathieu Quet Sociologue, IRD , Henri Boullier Sociologue, INSERM Pierre Concialdi Économiste, IRES , Lorenzo Barrault-Stella Sociologue, CNRS , Maricel Rodriguez Blanco Sociologue, EHESS , Sarah Abdelnour Sociologue, Université Paris-Dauphine , Violaine Girard Sociologue, Université de Rouen , Renaud Gay Sociologue, IRES, CERDAP2 , Christel Coton Sociologue, Université Paris 1 , Julie Landour Sociologue, CEET-CNAM , Sandrine Guyot Ergonome, Paris X La Défense, Paula Cristofalo Sociologue, EHESP , Clément Marquet Sociologue, Telecom-Paristech , Céline Mardon Ergonome, CEET-CNAM , Serge Volkoff Ergonome, CEET-CNAM , Samuel Hayat Politiste, CNRS , Baptiste Kotras Sociologue, IFRIS , Laure Pitti Sociologue, Université Paris 8 , Nathalie Coutinet Économiste, Paris 13 , Valérie Zara-Meylan Ergonome, CEET-CNAM , Pierre-Édouard Weil Sociologue, Université de Brest , Gerard Rimbert Sociologue, CESSP-CSE , Julien O'Miel Politiste, Université de Lille , Hugo Bertillot Politiste, Université Catholique de Lille , Sophie Orange Sociologue, Université de Nantes , Camille Bachellerie Ergonome, CEET-CNAM , Anne Bory sociologue, Université de Lille , Annie Jolivet Économiste, CEET-CNAM , Ariel Sévilla Sociologue, Université de Reims Champagne-Ardenne , Catherine Delgoulet Ergonome, Université Paris Descartes , Valérie Duguet Sociologue, Université de Limoge, Patrick Castel sociologue, Sciences Po Paris, Anne-Françoise Molonié démographe, CEET-CNAM.